PÉROU

La presse entre émancipation et entraves

INTRODUCTION

Le Pérou a été classé 85 sur 180 en 2019 selon le classement RSF. Qu’est-ce qui explique ce score ? Selon RSF, il y a plusieurs facteurs, comme la « forte concentration des médias » – qui sont majoritairement la propriété « de grandes familles » – et le « manque de transparence » concernant les propriétaires et les actionnaires de certains médias. Le groupe El Comercio, occupe par exemple une position très dominante et dispose « d’un poids économique sans précédent dans l’industrie médiatique péruvienne ». Les journalistes eux, sont souvent mis sous pression, notamment lorsqu’ils couvrent des conflits sociaux, environnementaux, dénoncent des affaires de corruption ou révèlent des informations sur le narcotrafic. Les représailles peuvent être lourdes voire dramatique. Plusieurs reporters ont déjà été condamnés pour des enquêtes d’investigation. En 2014 et 2019, des journalistes ont été assassinés pour leurs enquêtes : Fernando Raymondi Uribe et Sonia Isabel Alvarado Huayunga. Et plusieurs ont été condamnés pour des enquêtes d’investigation. 

Suite à ces découvertes, nous avons voulu mener notre enquête, afin de mieux comprendre les enjeux sociaux, juridiques, économiques et médiatiques structurants la pratique journalistique. Au travers de plusieurs sujets, tels que les féminicides, le travail des enfants, les lois qui encadrent le travail des journalistes, la corruption politique, les exploitations minières, le travail d’investigation, nous avons pu analyser et dresser le portrait de la liberté de la presse au Pérou.   

FÉMINICIDE ET MÉDIAS : LE SENSATIONNALISME N'EST PLUS LA SEULE APPROCHE

Par Hugo Metreau

©  Pinterest

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En 2019 au Pérou, il y a eu 166 féminicides. C’est un (triste) record depuis que ces crimes sont inscrits dans les registres, soit une dizaine d’années. Les Péruviens sont, plus globalement, peu concernés par le droit des femmes. En effet, si les mentalités sont très conservatrices, la jeune génération commence à s’emparer de ces questions, à l’image des actions du puissant mouvement féministe Ni Una Menos. Le traitement des féminicides, historiquement morbide et sensationnaliste, commence à changer. Analyse d’une presse qui, malgré ses positions historiquement conservatrices, tend vers un traitement médiatique des féminicides plus réflectif.

La société péruvienne est conservatrice et machiste

La misogynie de la société péruvienne est l’une des explications des nombreux féminicides perpétrées dans le pays. Selon une étude d’Ipsos Pérou publiée ce mois-ci, 71% des Péruviens estiment qu’une femme mérite d’être battue par son mari en cas d’adultère. Après cette enquête et ces chiffres choquants, l'anthropologue Norma Fuller explique au journal El Comercio que « la conception selon laquelle les femmes appartiennent aux hommes est enracinée. » Avec cette pensée, l’homme a le droit de punir une femme si elle commet un affront contre lui ». Cette justification de la violence faite aux femmes permet de mieux comprendre le nombre très important de féminicides au Pérou, au nombre de 166 en 2019.

Rosa Maria Montero est une féministe péruvienne, elle est aussi avocate spécialiste des droits humains. Elle dépeint le rôle de la femme péruvienne dans son pays : « Il y a quelques années, la femme était considérée comme une personne dont le rôle était de procréer. Il était même mal vu qu'une femme travaille ». 

Une sensibilisation aux droits des femmes qui doit passer par l’éducation 

Wyloen Munhoz-Boillot, correspondante au Pérou pour RFI, vit seulement dans le pays depuis août dernier, mais porte déjà un regard critique sur la place de la femme au sein de la société péruvienne : « ça reste une société machiste. Dans mon quotidien, je le vois à la manière dont les femmes sont regardées, traitées, sifflées. » Pour la journaliste, le problème vient de l’éducation que reçoivent les enfants : « C’est dû à l’éducation, dans cette société très machiste et patriarcale. La femme n’a tout simplement pas autant d’importance que l’homme » .

Les enfants ne sont pas sensibilisées sur le droit des femmes. Ces questions ne sont abordées qu’à l’université, mais il est déjà trop tard à ce moment-là, car l’école n’est obligatoire que jusqu’à 11 ans seulement. En outre, les frais universitaires étant très élevés, ils représentent un frein supplémentaire dans la sensibilisation des jeunes générations aux droits des femmes.

Le féminisme s’invite en politique désormais

La représentation des femmes s’est améliorée dans le domaine politique. Arlette Contreras en est la figure de proue. Elle a été victime d’une tentative de féminicide en 2015. Son histoire est d’ailleurs à l’origine du mouvement féministe Ni Una Menos au Pérou. Elle s’est lancé en politique pour combattre les féminicides avec un programme exclusivement consacré aux femmes et a été élue aux dernières élections législatives. Son élection cette année permet de proposer des lois contre les féminicides et porter les velléités féministes jusqu’au parlement.

Les féministes mettent également une pression sur la justice péruvienne pour « en finir avec l’impunité » des auteurs de féminicides selon la féministe et avocate Rosa Maria Montero. Par exemple, le mois dernier, la justice péruvienne a condamné un jeune homme à trois ans et huit mois de prison ferme pour harcèlement sexuel. De la prison ferme pour du harcèlement, c’est une première dans le pays. « Les procédures judiciaires doivent être plus rapides pour les féminicides, en particulier pour les flagrants délits. C’est important que les victimes sachent que la justice peut les protéger » affirme Rosa Maria Montero.

Un traitement médiatique des féminicides qui évolue

Les mentalités au Pérou évoluent, y compris chez les journalistes. Les féminicides sont traditionnellement traités en entrant dans l’intimité des victimes et en insistant sur le mode opératoire du tueur, pour donner à voir un spectacle proche du voyeurisme. Robin Cavagnoud, chercheur à l’Institut Catholique de Lima, spécialisé sur les questions de droits humains, pointe du doigt le traitement des féminicides réservé par la télévision : « C’est souvent traité de manière succincte et simpliste, voire sensationnaliste, surtout dans les médias audiovisuels ou d’information en continu, avec les images qui reviennent en boucle. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune problématisation. »

Selon une étude d’Ipsos Pérou publiée ce mois-ci, 71% des Péruviens estiment qu’une femme mérite d’être battue par son mari en cas d’adultère. © RFI

Selon une étude d’Ipsos Pérou publiée ce mois-ci, 71% des Péruviens estiment qu’une femme mérite d’être battue par son mari en cas d’adultère. DR

En 2019 au Pérou, il y a eu 166 féminicides. © Ni Una Menos

En 2019 au Pérou, il y a eu 166 féminicides. © Ni Una Menos

© Ni Una Menos

© Ni Una Menos

Même si elle reconnaît une amélioration du traitement médiatique des féminicides, Wyloen Munhoz-Boillot trouve qu’il y a encore beaucoup d’efforts à réaliser pour les médias péruviens : « Les médias traditionnels continuent à traiter ça comme un fait divers sans aller plus loin. Certaines affaires sont plus médiatisées, car les féministes se bougent, mais sinon ça reste plat ». Le 8 mars dernier, les médias péruviens mentionnaient la « Journée de la femme », alors que dans la plupart des pays, y compris en France, il est plutôt question désormais de la « Journée des droits des femmes ». La différentiation n’est pas anodine pour le Pérou qui n’a pas encore emboîté le pas des médias occidentaux. Wyloen Munhoz-Boillot a noté un changement de ton à cette période : « On approchait le 8 mars donc il y avait beaucoup d’articles de fond, même dans certains médias qui n’avait pas l’habitude d’en faire, mais ça va peut-être retomber ».

Une évolution du rubriquage

Maria Cervantes est correspondante à Lima pour Reuters. Elle apporte une précision sur la couverture des féminicides : « Ces informations sont souvent traitées par les femmes journalistes, elles sont directement concernées, elles portent le sujet aux rédacteurs en chef. Mais je trouve que le sujet est plus traité et la qualité des productions s’améliore. Nous sommes sur la bonne voie ».

Le principal changement opéré ces dernières années concerne la pratique journalistique qu’on appelle le rubriquage. En effet, les féminicides ne sont désormais plus seulement traités comme des faits divers, mais aussi comme des problèmes de société. Du côté associatif, ce rubriquage des féminicides est très important et permet la reconnaissance du travail effectué. Selon Rosa Maria Montero, les médias ont un « rôle majeur » à jouer dans la défense du droit des femmes.

Après avoir collecté les témoignages de nombreux journalistes au Pérou, un paradoxe est apparu. Il existe une vision différente de la couverture des féminicides selon les origines culturelles. Les journalistes locaux sont peu gênés par le traitement journalistique des féminicides, alors que les correspondants occidentaux ont quant à eux un regard plus critique. 

Pas d’entraves à la liberté de la presse

On ne peut pas parler d’entraves mises par les autorités aux journalistes pour parler des féminicides. Mais il y a plutôt une sous-représentation médiatique de ce problème qui est dû aux mentalités conservatrices, voire machiste, de la société péruvienne.

Depuis 5 ans environ, un tournant s’opère, dans la société et dans les médias. La population prend conscience du problème au Pérou de la protection des femmes. Les associations s’organisent dans la lutte pour la défense du droit des femmes. Même si gommer les inégalités entretenues depuis des décennies est un long combat, la société péruvienne change peu à peu. Quant aux médias, une progression commence à avoir lieu, que ce soit sur le plan de la représentation médiatique que dans la qualité du traitement journalistique.

TRAVAIL DES ENFANTS PÉRUVIENS : LE MUTISME DES MÉDIAS

Par Clara Monnoyeur

Au Pérou, environ 30 % des enfants sont obligés de travailler pour aider leur famille selon l’ONG Humanium. Cela représente près de 2 millions d’enfants et adolescents. Pourtant, ce sujet est complètement absent dans les médias péruviens. Alors que le travail des enfants péruviens est un sujet d’intérêt général, pourquoi les médias en parlent si peu ? Pressions sur les journalistes ? Tabou des familles ? Ou permissivité de la société ? Explications avec Robin Cavagnoud, sociologue spécialiste du travail illégal des adolescents à Lima, et Amanda Chaparro, journaliste correspondante pour Le Monde au Pérou.

Selon l’ONG Humanium, environ 30 % des enfants au Pérou sont obligés de travailler pour aider leur famille. Cela représente près de 2 millions d’enfants et adolescents. Au Pérou, à partir de 15 ans un enfant a légalement le droit de travailler. En dessous de cet âge, le travail est non régulé et s'intègre dans l’économie informelle. L’économie informelle correspond à toutes les activités productrices de biens et services qui échappent au regard ou à la régulation de l’état. Selon le Bureau international du travail (OIT), le caractère informel d’une activité peut être rémunéré (comme le travail au noir), et n’est pas toujours illégal (le travail domestique est bien légal). En clair : « Il n’y a aucun contrôle dans les faits » selon Robin Cavagnoud, socio-démograhe et chercheur à l’université catholique de Lima. « C’est-à-dire qu’il n’y a pas de contrats, pas de vacances, pas de droits… », explique l’auteur de L'enfance entre école et travail au Pérou - Enquête sur des adolescents à Lima. Durant plusieurs années ce chercheur a dédié ses recherches au travail des enfants péruviens. Pour lui, la tendance est à la baisse depuis une quinzaine d’années. Les raisons ? Un moindre taux de fécondité, et une population structurée désormais autour d’une majorité de jeunes adultes (ceux-ci pouvant travailler pour la scolarité des enfants). Mais un problème freine cette tendance : l’absence de protection sociale. Une forme de bourse de scolarité a été mise en place pour les familles en difficulté où les enfants vont à l’école, mais cette avancée reste minime.

Des enfants qui travaillent pour faire face à une grande précarité

Selon l'Institut de la Statistique du Pérou (INEI), 42,6 % des enfants et adolescents travailleurs du département de Lima vie sous le seuil de pauvreté. Dans les autres départements du pays, ils sont largement plus nombreux, entre 60 et 95 % dans ceux des Andes par exemple. Selon le sociologue, même s’il n’existe pas de profil type, les enfants ont toujours un point commun : la grande précarité. Souvent ce travail commence à partir de « 10-11-12 ans. » En milieu urbain, ces enfants vivent souvent dans une famille monoparentale où avec un des membres du couple parental qui ne peut pas travailler ou qui a de très faibles revenus, avec une fratrie souvent nombreuse. Les enfants travaillent souvent dans la vente. La plupart du temps, ils travaillent avec leurs parents qui tiennent une épicerie ou font les marchés… Il arrive aussi qu’ils vendent « des bonbons dans la rue, les transports, ce qui se rapproche plus de la mendicité ». En milieu rural, les enfants participent au travail de la famille, dans la culture des champs, ou la garde du troupeau.

Des médias silencieux sur un sujet d’intérêt public

Un phénomène qui touche près d’un quart des enfants péruviens. Pourtant, dans les médias locaux, c’est le silence. Le sujet du travail des enfants est très peu abordé, quasi inexistant. Lorsque les médias traitent du sujet, la plupart du temps, c’est dans le cadre de faits divers ou d'événements particuliers comme les accidents du travail. Maria Cervantes, journaliste correspondante pour Reuters, confirme cette observation « il n’y a pas beaucoup d’investigation sur ce sujet, peu de médias s’intéresse vraiment au travail des enfants ». Pour Robin Cavagnoud, quant à lui, le problème réside aussi dans « le fait qu’une actualité en chasse une autre ». Or, le travail des enfants n’intervient que lors de faits divers. « On parle du travail des enfants dans les journaux le 12 juin car c’est la journée mondiale contre le travail des enfants, mais s’il n’y a pas de scandale, on en parle pas ».

Un travail invisible et un accès difficile aux sources d’informations

Amanda Chaparro a travaillé sur le travail domestique des petites filles au Pérou, elle reconnaît avoir eu « beaucoup de mal à trouver des informations dans les médias péruviens, la presse nationale ou locale. » Le sujet est quasi absent des médias, à cela s'ajoute la difficulté de trouver des études sur le sujet : « L’Etat ne donne pas de chiffres, c’est un travail qui échappe complètement au contrôle de l’état. » Pourtant, au Pérou, plus de 100 000 mineurs âgés de 5 à 17 ans travailleraient comme domestiques en 2014 selon l'OIT.

Quelque 79 % d'entre eux sont des filles, 21 % des garçons. Une grande majorité de ces jeunes (74 %) sont adolescents (entre 12 et 17 ans), toutefois 26 % sont âgés de 6 à 11 ans, souligne l'OIT dans un rapport publié dans le cadre d'une campagne visant à mettre fin à « l'esclavage des enfants ».

Pour elle, ce manque de représentation dans les médias vient de l’invisibilité : « Le travail domestique est un travail caché, c’est compliqué parce que cela se passe à l’intérieur même des maisons, c’est un travail invisible ». Ce qui rend compliquée la couverture médiatique dans ce genre de cas, il y a également l’accès aux sources : « Il est difficile d’accéder à des sources, les employeurs ne veulent pas parler, les enfants non plus et les employeurs font souvent passer cela pour de l’aide » . 

Le travail des enfants fait partie de la société

Pour Maria Cervantes, correspondante pour Reuteurs, si les médias s’y intéressent peu, c’est parce que cela intéresse également peu la population : « Ici, c’est quelque chose de normal de travailler après l’école. C’est vu comme normal de travailler pour payer ses études ». Au Pérou, le travail des enfants fait partie intégrante de la société : « Ici, il n’y aucune honte à voir son enfant ou un enfant travailler. La société accepte totalement de voir les enfants travailler durant leurs études ou les vacances... C’est vraiment commun ici. »

Pour le chercheur, le travail des enfants fait partie de la dimension culturelle du pays et des familles. D’ailleurs pour eux, cela ne relève pas du travail, mais de l’entraide familiale : « Dans les milieux ruraux, le travail des enfants est vu comme une participation au travail et à la vie domestique de la famille » . 

Un avis que partage la correspondante Amanda Chaparro : « Ici c’est quelque chose de complètement banalisé, c’est tellement courant que quand on sort de chez nous, on voit les enfants qui travaillent dans la rue, qui vendent des journaux, qui cires des chaussures, qui vendent des bonbons, qui nettoient les vitres de voitures (...) les travailleurs ambulants font parti du paysage, et en zone rurale, cela fait presque parti des coutumes. » Des coutumes évidemment liées aux problèmes de pauvretés qui frappent le pays.

@María Royo Barrera.

@María Royo Barrera.

Une presse qui ne problématise pas et n'investigue sur le sujet

Mais pour Maria Cervantes c’est aussi le rôle des médias que de s'emparer de sujets d’intérêt public : « Je pense que les journalistes doivent plus en parler. Ils en parlent que quand il y a un accident du travail ou un fait divers. »  Un avis partagé par Amanda Chaparro, « il faudrait mettre cette question plus sur la table, aujourd’hui ce sujet est assez absent des médias majoritaires ». Pour elle, cela peut s’expliquer par le fait que la presse nationale est concentrée autour des sujets qui concernent la capitale, avec une « presse locale qui reste très communicante, et des journalistes qui n’ont pas forcément les moyens de faire des enquêtes. »

Robin Cavagnoud pense également que même si les médias devraient davantage aborder le sujet, le problème reste encore le traitement : « Les journalistes ne prennent pas le temps de problématiser, de mettre en perspective ». Le chercheur confirme qu’il y a très peu d’enquêtes menées la dessus. Il assure que pourtant c’est un sujet qui intéresse l’opinion publique, notamment « les classes sociales moyennes, car elles voient quotidiennement les enfants dans la rue qui travaillent. » C’est aussi un sujet qui intéresse, car il aborde la problématique de concilier le travail et l’école : « Un sujet qui concerne directement la population ».

© Flickr

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Pour le sociologue, les médias ont un rôle à jouer dans la prise de conscience, mais la plus grand part du problème réside dans des facteurs plus profonds. C’est-à-dire les dynamiques démographiques et surtout le système politique. « Le gouvernement empêche toute mise en place de système de protection sociale, ce qui bloque toutes les progressions sociales. »

Dans ce pays de 31 millions d’habitants, environ 60 % de la population active continue de travailler dans le secteur « informel », selon l’INEI. Soit 17 millions de personnes parmi lesquelles 2,9 millions d’enfants âgés de 6 à 17 ans. 

Un sujet d’intérêt public quasi-absent des médias. La cause ? Un travail qui est invisible avec un accès difficile aux sources ; un thème qui fait partie de la vie et la culture péruvienne ; une presse qui n’a pas la culture de l’investigation. Mais pourrait-il y avoir d’autres facteurs qui entravent le travail des journalistes ? Qu’en est-il des lois qui encadrent les journalistes ?

JUSTICE PÉRUVIENNE : PILIER ET ENTRAVE À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION

Par Lisa Noyal

© Istockphoto

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« Les lois s’adaptent, il y a de la transparence, de la liberté et les sources sont protégées », souligne Fernando Carvallo, ancien journaliste à RFI. © Wikipédia

« Les lois s’adaptent, il y a de la transparence, de la liberté et les sources sont protégées », souligne Fernando Carvallo, ancien journaliste à RFI. © Wikipédia

La Constitution péruvienne de 1993 (revisitée en 1979) assure la « liberté d'information, d'opinion, d'expression et de diffusion de la pensée, par le biais de la parole ou de l'image [...] ».  © Peru21

La Constitution péruvienne de 1993 (revisitée en 1979) assure la « liberté d'information, d'opinion, d'expression et de diffusion de la pensée, par le biais de la parole ou de l'image [...] ».  © Peru21

Les lois fondamentales du Pérou définissent la liberté d’expression comme un droit précieux et nécessaire. Actuellement, certaines mesures visant à améliorer la pratique journalistique sont en train d’être discutées au Congrès de la République. Néanmoins, d’autres mesures pourraient la rendre plus compliquée. L’objectif ici est de comprendre si les journalistes peuvent exercer librement leur métier sans rencontrer d’obstacle juridique ou si les lois sont encore trop contraignantes.

Plusieurs textes de loi régissent la liberté d’expression au Pérou. La Constitution péruvienne de 1993 (revisitée en 1979) assure la « liberté d'information, d'opinion, d'expression et de diffusion de la pensée, par le biais de la parole ou de l'image [...] ». D’autres textes de lois tels que La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (art”.” 19) et la Convention américaine relative aux droits de l'homme (art”.” 13) assurent également ce droit fondamental. « Le Pérou est un pays intermédiaire qui a quand même une certaine liberté », décrit Amanda Chaparro, correspondante pour Le Monde.

Par ailleurs, certaines lois visent à protéger le travail journalistique. « Toute action qui suspend ou ferme tout organe d'expression ou l'empêche de circuler librement est un crime » peut-on retrouver dans le Code Pénal. En 2019, un projet de loi, repoussé du fait des élections législatives avancées, propose de « dépénaliser les crimes contre l’honneur ». C’est-à-dire de remplacer les trois ans d’emprisonnement actuels par uniquement des sanctions monétaires. Cette loi s’appliquerait aux satires, textes d’opinion et textes parodiques. Le projet propose également des procédures préliminaires et judiciaires pour le droit de réponse et de rectification afin de clarifier les étapes à suivre. « Les lois s’adaptent, il y a de la transparence, de la liberté et les sources sont protégées », souligne Fernando Carvallo, ancien journaliste à RFI. 

En 1997, un Conseil de la Presse péruvienne est créé pour  « sauvegarder les droits et la liberté de la presse » . Cette association est fondée par les principaux médias du pays et a pour but de défendre la liberté de la presse, d'expression, d'opinion et d'information. Elle tente également de  « promouvoir et d’élever le niveau d'éthique dans le journalisme national ». Cette organisation analyse donc avec attention les décisions de justice relative au travail journalistique.

Le Congrès de la République, l’épée de Damoclès sur la tête des journalistes ?

Si certaines lois protègent le travail journalistique, d’autres le mettent en péril. L’interprétation des textes, tels que ceux portant sur le statut de la presse de 1974 ou la Constitution, donne aux juges une certaine liberté dans son verdict. Il est, par exemple, interdit de révéler des informations qui concernent le domaine du privé, mais qu’appelle-t-on privé ? 

En 2018, le Congrès de la République a proposé certaines mesures qui pourraient entraver la liberté d’expression. Une loi visant à rendre obligatoire la scolarité pour les journalistes a par exemple été débattue. Ici, l’objectif de limiter l’accès des citoyens au métier de journaliste. Néanmoins, Renato Silva, journaliste pour la Agencia Andina et El Peruano, nuance cette idée en expliquant que l’Etat souhaite instaurer une réforme de l’enseignement pour « améliorer la qualité de l'enseignement, non pas pour censurer ou contrôler les journalistes ».

Une loi ayant pour but d’interdir à  « tous les directeurs journalistiques, éditeurs, producteurs, directeurs généraux, actionnaires d'exercer leurs fonctions dans un média s'ils ont été condamnés pour corruption au détriment de l’État » a également été proposée en 2018. La loi sur la diffamation est la plus sévère. Aujourd’hui, un journaliste qui en est accusé risque trois ans de prison ferme. « La diffamation est un bon moyen de faire taire. Elle est souvent utilisée, les procès se multiplient de plus en plus d'ailleurs, ça devient assez courant, d'envoyer un journaliste en diffamation », confie Amanda Chaparro, correspondante pour Le Monde. De plus, en 2018, le Congrès de la République propose de prolonger la peine d’emprisonnement à sept ans. La peine actuelle est pourtant déjà lourde comparée à la France où la diffamation publique est punie d’un maximum de 12.000 euros d’amende. Cependant, après de multiples débats, cette loi a finalement été abandonnée.

Le modèle économique influe sur le traitement médiatique

« La plus grande menace à la liberté de la presse vient de la concentration des médias », affirme le journaliste Fernando Carvallo, anciennement à RFI. Selon une enquête du MOM Pérou (nom d’un projet regroupant RSF et Ojo Pùblico) réalisée en 2016, la majorité des médias est détenue par le même groupe : El Comercio. « Il concentre à lui seul 70 % de la publicité annuelle, 80 % de la circulation de journaux et 78 % des lecteurs de la presse quotidienne », détaille l’enquête. Ces recherches montrent en effet que les revenus, les médias et l’audience est largement concentrée au même endroit, tous supports médiatiques confondus. « Il existe également un large problème de transparence », souligne l’enquête, parfois les groupes sont protégés par des sociétés offshores basées à l’extérieur du pays.

© Getty Images

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Aujourd’hui, si les médias traditionnels survivent, c’est grâce aux annonceurs et à l’actionnariat. Ces deux sujets ne favorisent pas la liberté d’expression, car les médias sont détenus uniquement intérêt politique. Les rédactions se trouvent ainsi tiraillées entre l’envie d’informer et la peur de perdre la publicité qui les font vivre. Ainsi, les journalistes sont plus disposés à l’auto censure. « Le pouvoir économique est l'un des principaux obstacles actuels à la recherche journalistique », affirme Ernesto Cabral, Ojo pùblico. Pourtant, la Constitution péruvienne insiste sur l’importance « d’empêcher le monopole direct ou indirect de l’Etat ou d’un particulier ». Même si cette interdiction est précisée dans la loi du pays, son application et sa régulation sont insuffisantes. Par exemple, on ne sait pas ce qu’est exactement un monopole indirect. Ernesto Cabral complète cette idée : selon lui, « la plupart des journalistes péruviens ne disposent pas d'informations larges et précises sur la loi ».

Les lanceurs d’alerte, journalistes à caractère exceptionnel

« Il existe peu de lanceurs d’alerte au Pérou », assurent de nombreux journalistes péruviens. Tout d’abord, cela s’explique par les difficultés liées au métier. « C’est dur de récupérer des informations quand on est lanceur d’alerte. On doit bosser pendant des mois sur le même sujet. Cela demande beaucoup de temps et beaucoup d’argent », estime Maria Cervantes, correspondante à Reuters. Elle complète sa pensée en expliquant qu’en général, révéler une affaire peut conduire en prison. Selon elle, lorsqu'un journaliste expose des affaires de corruption, par exemple, il est presque systématiquement attaqué pour diffamation et donc, souvent emprisonné.

Pedro Salinas et Paola Ugaz, journalistes, font partie des exceptions. En 2016, ils ont tous les deux mis en lumière un scandale d’abus sexuel au sein de l’institut catholique Sodalicio. Ils dénoncent. À la suite de cette découverte, les deux journalistes ont été accusés de « diffamation aggravée ». La juge catholique Judith Cueva a condamné Pedro Salinas à 1 an de prison avec sursis et 80 000 soles péruviens (21 500 euros) d’amende. Quelques jours après ce jugement, l’institut catholique retire finalement sa plainte, et se dit « satisfait de la condamnation ». Ces contraintes réelles n’incitent pas les journalistes à devenir lanceur d’alerte. « Les menaces juridiques constituent l'une de nos pressions majeures ou plus communes contre notre travail », commente Ernesto Cabral. 

Autre risque existant : les forces de l’ordre ne sont pas toujours impartiales. « Ici, au Pérou, la police peut travailler pour des intérêts privés et en même temps pour l’Etat donc c’est compliqué », décrit Amanda Chaparro. 

« Contrairement à d'autres pays de la région [à l’échelle de l’Amérique latine], je pense que l'évaluation de la liberté de la presse au Pérou est positive », estime Ernesto Cabral. Le journaliste d’Ojo Pùblico est optimiste quant à l’évolution du traitement médiatique de son pays. Pour autant, on peut constater que beaucoup d’éléments ralentissent ce processus. Nous venons de le voir, certaines lois ne facilitent pas l’exercice de la profession de journalistes, l’oligarchie des  médias ne semble pas permettre la pleine liberté d’expression, enfin, les lanceurs d’alerte peuvent être sévèrement condamné pour avoir révélé une affaire qui dérange… Notamment lorsqu’ils dénoncent la corruption présente dans le pays.

LES SCANDALES DE CORRUPTION POLITIQUE FONT LES GROS TITRES

Par Étienne Le Van Ky

© Wikipédia

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Depuis l’énorme scandale Lava Jato, les révélations d’affaires de corruption au sein des élites politiques fait régulièrement les gros titres au Pérou. Sujet récurrent déjà depuis les années 90, il fait l’objet d’un traitement médiatique récurrent mais aussi diversifié. Si ces scandales peuvent éclater, c’est dû en partie au fait que les entités étatiques ne sont pas particulièrement un obstacle pour les journalistes. Les choses devraient aller en s’améliorant avec Martin Vizcarra, actuel président et (pour l’instant) pas concernés par la moindre affaire de corruption. Son plan anti-corruption suscite beaucoup d’espoirs, mais sa capacité à mener ses réformes et crédibilité sont impitoyablement scrutée par les médias.

Elle truste les unes de la presse et les titres des journaux télévisés péruviens. Véritablement ancrée dans le pays, la corruption politique concerne autant le moindre fonctionnaire que les plus hautes sphères du pouvoir politiques, des parlementaires aux présidents. Selon le classement de l’ONG Transparency International, qui analyse la corruption dans le secteur public, le Pérou est 81e sur 180 pays avec un score de 36/100, ce qui est plutôt faible (plus un pays est corrompu plus son indice sera proche de 0). Hormis le président actuel, aucun chef de l’Etat péruvien depuis les années 90, n’y a échappé. La plupart sont concernés par le scandale du Lava Jato. À partir de révélations dès l’année 2014, on apprend que le géant brésilien du bâtiment Odebrecht a versé près de 800 millions de dollars de pots-de-vin à plusieurs pays d'Amérique Latine, dans le but d’obtenir des contrats de construction.

Une couverture médiatique diversifiée 

Au Pérou, le suivi médiatique de la vie politique, et des affaires de corruption plus particulièrement, tient bien plus de l’opinion que de la simple information. Un phénomène relevé par Wyloën Munhoz-Boillot, correspondante au Pérou pour RFI : « Les médias ici sont généralement très sensationnalistes, alors la majorité des journalistes et éditorialistes sont plus dans le commentaire de l’actualité que la simple présentation des faits, et c’est encore plus flagrant pour la politique ». 

Entre ceux qui prennent la défense d’hommes politiques et ceux qui dénoncent leur impunité, les éditorialistes et les médias n’hésitent pas à critiquer et donner leur avis. « De ce point de vue là, le cadrage est équilibré » estime Arthur Morenas. « Certains journaux plutôt à droite, tel qu’Expreso, dénoncent ce qu’ils nomment la « presse caviar » qui attaque les hommes politiques et les stigmatiserait selon eux. D’autres titres plus à gauche insistent plutôt sur les abus des politiques » explique le chercheur en sciences politiques. D’après notre enquête, s’il y a bien une chose qu’on ne peut pas enlever au paysage médiatique péruvien, c’est sa pluralité. Si une telle diversité est possible aujourd’hui, c’était loin d’être le cas dans les années 90 sous le régime fujimoriste.

La vie publique, pas un milieu particulièrement hostile aux journalistes depuis la chute de Fujimori

Tous les journalistes que nous avons contactés, péruviens ou correspondants étrangers, ne considèrent pas que le secteur public soit particulièrement sujet à entraver leur travail. « Les journaux et les radios qui traitent de questions liées à la politique sont totalement libres de critiquer le gouvernement et le président lui-même » nous dit Renato Silva, journaliste à l’Agence Andine, l’agence de presse péruvienne. « Les journalistes d'investigation indépendants peuvent également faire leur travail correctement et le présenter au public » ajoute le journaliste. L’Etat ne contrôle plus la presse, si l’on excepte El Peruano, le quotidien de service public, reconnu mais au tirage limité (17 000 exemplaires face à environ 100 000 pour El Comercio et La Republica).

Une véritable rupture est observée au début des années 2000 à la chute de Fujimori, parfois encore présenté aujourd’hui comme un dictateur. Cependant, les journalistes étrangers et nationaux ne sont pas toujours logés à la même enseigne. Jérémy Joly, ancien pigiste au Pérou pour TV5 Monde entre autres, a pu l’observer pendant 4 ans entre 2014 et 2018 :  « La presse étrangère est bien organisée et puissante au Pérou, alors ça ouvre plus facilement des portes que pour certains collègues péruviens ». Wyloën Munhoz-Boillot, actuelle correspondante pour RFI, est installé depuis 6 mois et dresse le même constat. « En tant qu’étranger, c’est bien plus facile d’avoir accès à des lieux publics comme les hôpitaux par exemple. Les Péruviens doivent faire souvent de plus longues démarches ».

Pedro Pablo Kuczynsli et Martin Vizcarra lors d'une réunion.© Peru21

Pedro Pablo Kuczynsli et Martin Vizcarra lors d'une réunion.© Peru21

Néanmoins, la situation est encore loin d’être idéale. Si la vie politique publique ne constitue pas vraiment un environnement hostile aux journalistes, les relations sont plus délicates avec les grandes entreprises privées. Or, comme l’explique Arthur Morenas, « le Pérou s’est construit sur une imbrication public/privé encore bien prégnante. Il existe de fortes relations entre pouvoirs politiques et élites économiques ». C’est cette proximité entre représentants politiques et secteur privé qui peut être une entrave à la liberté de la presse, lorsque des acteurs protègent leurs alliés. Comme nous le verrons plus tard, l’investigation journalistique est bien plus difficile concernant les entreprises aux intérêts économiques importants. Dans tous les cas, l’après Fujimori fut synonyme de plus de liberté pour les journalistes. Sa chute a permis à un mouvement de dénonciation de la corruption de s’enclencher, jusqu’à s'accélérer avec le scandale Lava Jato en 2015. 

Vizcarra, entre grands espoirs et scepticisme 

Les attentes sont lourdes sur les épaules du président Martin Vizcarra. Fait rare pour un homme politique important, il n’est impliqué dans aucun des grands scandales qui ont touché le Pérou ces dernières années. Président depuis 2018, il s’érige même en meneur de la lutte contre la corruption, portant des mesures ambitieuses.  Membre du gouvernement de Pedro Pablo Kuczynski entre 2016 et 2017, lui-même tombé pour corruption, il garde cependant une bonne image auprès de la population. Il faut dire qu’il occupait le poste d’ambassadeur au Canada au moment de la chute de l’ancien président dans le cadre de l’affaire Odebrecht. D’après Arthur Morenas, c’est cette position assez extérieure qui lui a permis de revenir.  « Il est assez à l’écart de ce gouvernement et des querelles de partis, d’autant plus qu’ils vient de province et non de Lima, ce qui est inhabituel dans ce pays très centralisé autour de sa capitale ». Pour l’instant hors des grandes manigances, il cultive aussi une image de  « pas comme les autres », notamment en annonçant qu’il ne se représenterait pas aux prochaines élections. 

Maria Cervantès, correspondante pour Reuters, ressent déjà des effets positifs depuis le début de son mandat. « Il y a moins de problèmes avec Vizcarra. Les journalistes, mais aussi la population, attendent beaucoup de lui. S’il ne parvient pas à mener les réformes attendues, les électeurs seront mécontents et se retourneront sûrement vers des partis plus radicaux, ou des formations religieuses » .  

Ainsi les médias sont très critiques sur sa personnalité Il est présenté comme peu charismatique et est décrié pour sa tendance à scruter les sondages et à ajuster sa ligne selon les tendances. Sa dernière déclaration sur son intention « d’évaluer » le rétablissement de la peine de mort pour les violeurs en est un exemple flagrant. Vizcarra fait cette annonce le 8 mars pendant la Journée Mondiale de la Femme, quelques semaines après le cas très médiatisé d’une fillette assassinée puis violée.

Si Vizcarra est parfois présenté comme une sorte de président modèle, et presque providentiel, par les médias étrangers cette approche est à nuancer. Des doutes persistent sur sa capacité à faire passer ses réformes, son parti n’ayant pas de représentants au parlement. Cependant les formations de centre-droit, son bord politique, sont majoritaires et affirment ne pas vouloir bloquer son agenda de réformes. Pour cela, il devra quand même les convaincre et montrer qu’il a la carrure pour tourner la page de 30 ans de corruption politique.

Malgré tous ces scandales, la vie politique ainsi le secteur public dans sa globalité ne constituent pas un milieu particulièrement hostile pour les journalistes. C’est même pour cela qu’autant d’affaires ont pu être révélées, l’investigation est relativement peu entravé et les journalistes sont plutôt libre de rendre public leurs enquêtes. Cette relative liberté est loin d’être aussi effective dans les milieux privés et illégaux dans lesquelles transitent de grandes sommes d’argent, bien plus menaçants pour la presse.

L'INDUSTRIE MINIÈRE : UNE ÉCONOMIE OBSCURE

Par Antonin Blanc

© Le Livre Scolaire

© Le Livre Scolaire

Au Pérou, les minéraux sont nombreux et le secteur minier est un véritable pilier de l’économie. Cependant, une partie de l’activité minière est aujourd’hui encore illégale. De son côté, la production minière légale au Pérou n’est pas beaucoup abordée dans les médias malgré qu’elle ait des effets néfastes sur l’environnement. Mais pour quelles raisons les médias ne traitent-ils pas des enjeux économiques de cette industrie et de ses conséquences ?

Selon les données de The Wolrd Bank, en 2018, le Pérou possédait un PIB de 222,045 milliards de dollars et se classait au 51e rang mondial. Le secteur minier a connu une baisse de 0,05 % par rapport à 2017, mais il représentait tout de même 9 % du PIB péruvien, 11 % des recettes fiscales et 58 % des exportations du pays. Le sous-sol péruvien est très riche en métaux précieux comme l’or, l’argent, ainsi que d'autres métaux comme le cuivre, le zinc ou encore le plomb.

Un combat récent contre l’industrie minière illégale...

Parallèlement, des mines illégales voient le jour et extraient l’or du sous-sol péruvien. Étant le neuvième métal le plus précieux au monde, l’or attire de nombreux mineurs illégaux indépendants ainsi que des coopératives. En effet, ces chercheurs de métaux passent des accords avec les communautés indigènes propriétaires des terres. Cependant, ils ne possèdent pas les licences d’exploitation nécessaires pour extraire des minéraux. Ces activités illicites se concentrent essentiellement dans cinq régions du pays : Arequipa, Ica, Puno, La Libertad et La Madre de Dios. Selon les autorités péruviennes, les mines illégales ont déboisé plus de 9.000 hectares de forêt amazonienne dans la seule région de La Madre de Dios en 2018.

Les médias locaux parlent très peu de ces activités illégales au Pérou. Pourant, les ONG luttent depuis plus de vingt ans contre cet orpaillage. Par exemple, l’ONG de défense des droit humains Insituto de Defensa Legal (IDL) s’est battue pour annuler la licence d’exploitation de la mine Afrodita détenue par des mineurs illégaux, dans la région de El Cenapa à la frontière équatorienne. Pour Alvaró, membre d’IDL : « Ce fut huit années de travail acharné pour faire partir ces mineurs des terres ancestrales qui aujourd’hui abritent des réserves naturelles d’or du Pérou. ». Sur ce combat, la presse relaye seulement les actions de l’État allant dans ce sens. L’année dernière, le gouvernement a lancé l’opération Mercurio. Quatre bases de police ont ainsi été installées au cœur de l’Amazonie, dans la région de la Madre de Dios. L'objectif est d’expulser tous les mineurs illégaux de cette zone. Cette opération appuyée par l’armée s’est premièrement concentrée sur la réserve naturelle de Tambopata. Grâce à ces actions, la quasi-totalité des mineurs a fuis la réserve naturelle de Tambopata. Conséquence, la région de Madre de Dios doit aujourd’hui faire face aux conflits des mineurs illégaux qui se disputent les autres terres minières des indigènes. Ces actions de lutte contre l’extraction illicite d’or ont été fortement relayées dans la presse véhiculant ainsi l’engagement de l’État dans ce combat. 

… et des activités minières légales tabous !

Si la couverture médiatique des exploitations minières illégales est déjà faible au Pérou, elle est encore plus faible lorsqu’il s’agit de traiter des questions sociales et environnementales relatives à l’industrie minière légale. Néanmoins, il y a cinq ans, l’histoire de Maxima Acuña a fait le tour des médias. Cette paysanne a fait front à la société minière Newmont pour conserver ses terres et empêcher la mine de Yanacocha de les saccager. Beaucoup de Péruviens sont actuellement dans la même situation mais leurs problèmes ne sont ni médiatisés ni entendus par le gouvernement. Au Pérou, les intérêts économiques que rapporte l’industrie minière légale semblent mettre sous silence la souffrance de certains habitants. 

C’est le cas depuis plus de dix ans, des habitants de la commune de La Oroya située à 3700 mètres d’altitude. Cette ville figurait il y a quelques années comme l’une des villes les plus polluées au monde. La forte concentration en plomb de l’air et de l’eau a eu des conséquences graves sur la santé des résidents (problèmes psychomoteurs, capacité d’attention réduite, problèmes d’hyperactivité…). En effet, depuis 1933, la société Doe Run Company extrait d’énorme quantités de plomb, d’argent, de cuivre ou encore de zinc dans la région. Aujourd’hui, la population continue de se battre pour obtenir réparation, mais l’État ne semble pas entendre ces cris d’alerte puisque pour l’instant aucune mesure n’a été prise par le gouvernement contre la société minière américaine.

Un sujet sensible qui importe peu

Si les activités minières ne sont que peu traitées dans les médias, c’est parce qu’au Pérou, la vie se concentre surtout autour de Lima. Ainsi, tout ce qui se passe à des milliers de kilomètres n’intéresse pas les citoyens. En conséquence, les médias locaux sont regroupés dans la capitale et s’adressent essentiellement aux populations urbaines. De plus, il n’y a quasiment pas de correspondants locaux dans les régions éloignées de Lima. Maria Cervantes, correspondante de Reuters à Lima, explique qu’au Pérou certains sujets semblent plus urgents aux yeux du gouvernement et des médias : « Aujourd’hui, les gens se sentent concernés par le coronavirus alors qu’il n’y a qu’une dizaine de cas confirmés dans le pays, alors le gouvernement commence à travailler dessus. [...] Peu de familles à Lima ont un membre qui travaille dans les industries minières, donc elles ne s’y intéressent pas ». Même si les Péruviens semblent au courant de l’impact des activités minières, la question ne figure pas au cœur du débat public et encore moins de l’agenda médiatique.  

Si l’État ne se manifeste pas davantage sur cette problématique, c’est qu’il s’agit d’un sujet sensible. Audrey Cordova, vidéo-reporter franco-péruvienne, nous explique pourquoi.

Des investissements suspects

Au Pérou, de nombreuses compagnies minières ont investi dans les médias locaux à travers la publicité. Par exemple, la société minière transnationale Southern Copper Corporation a mené une énorme campagne de publicité dans les médias pour obtenir le soutien général de la population péruvienne dans le projet minier de Tía María. Ce projet d’extraction de cuivre dans la région de Arequipa fait polémique depuis maintenant quelques années. Le gouvernement soutient ce projet et fait front au rejet des agriculteurs et des populations de la région qui craignent d’importants dommages environnementaux. Aujourd’hui, la compagnie transnationale fait pression sur le gouvernement pour obtenir la licence d’exploitation et diffuse de nombreux spots publicitaires à travers la presse. Comme elle, les géants de l’industrie minière péruvienne n’hésitent pas à investir dans des campagnes de publicité pour promouvoir les avantages du projet (création d’emplois, création de richesse, impact environnemental faible...). Il existe même une chaîne consacrée à la promotion du secteur minier au Pérou. Depuis neuf ans, Rumbo Minero TV diffuse des émissions les samedis et dimanches à 9 heures (heure locale) dans lesquelles des experts débattent sur le développement des activités minières au Pérou. 

Ces investissements ne sont pas sans conséquence sur la liberté des journalistes. Dans le pays, ce sujet intéresse peu de personnes, néanmoins, certains journalistes désirent traiter de ces activités. Cependant, les enjeux économiques que représentent certaines campagnes de publicité des industries minières ont un impact sur la ligne éditoriale de leurs médias. Ainsi, les enquêtes sur les activités minières légales ne sont pas si évidentes à mener pour les journalistes péruviens. Les attaques en diffamation et les menaces sont monnaie courante.

Dans leurs investigations, les correspondants étrangers rencontrent eux un peu moins de difficultés. Les pressions mises par les compagnies minières et les représentants de l’État sont plus faibles car ces acteurs souhaitent renvoyer une image positive à l’international. En ce sens, les attaques en diffamation et les menaces envers les journalistes sont moins fréquentes. 

Si certaines entreprises de presse péruviennes telles qu'Ojo Publico, IDL Reporteros ou encore Convoca sont indépendantes, la majorité des médias ont un modèle économique très dépendant de la publicité. Ainsi, la liberté d’expression des journalistes sur ce sujet n’est pas totale. Cependant, au Pérou, il semble plus facile d’enquêter sur les activités illégales d’orpaillage plutôt que sur les impacts sociaux et environnementaux de l’industrie minière légale pour un journaliste péruvien.

Au Pérou, de nombreuses compagnies minières ont investi dans les médias locaux à travers la publicité.  © Andina

Au Pérou, de nombreuses compagnies minières ont investi dans les médias locaux à travers la publicité.  © Andina

Au Pérou, la vie se concentre surtout autour de Lima. © Orobel

Au Pérou, la vie se concentre surtout autour de Lima. © Orobel

Les attaques en diffamation et les menaces sont monnaie courante. © Bob Dewey

Les attaques en diffamation et les menaces sont monnaie courante. © Bob Dewey

L'INVESTIGATION, PROCHAINE ÉTAPE DU JOURNALISME AU PÉROU

Par Jean Uminski

© alamyimage

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Selon le classement RSF, le Pérou fait figure de bon élève en comparaison aux autres pays d’Amérique du Sud. Les médias ne sont pas censurés, mais ne s’investissent pas pour autant dans l’investigation. Peu de grandes enquêtes sont publiées. Alors qu'Ojo Público, média indépendant, fait de l’investigation son fer de lance, pourquoi cette pratique reste minoritaire ?

Dix plaintes et plus de 600 millions de dollars de dommages et intérêts demandés. En 2016, Miguel Arévalo Ramírez, alias « Eteco », a poursuivi une dizaine de journalistes pour diffamation. Ce baron de la drogue a été au cœur d’une enquête menée par plusieurs médias péruviens dont Ojo Público. Aucune condamnation n’a été prononcée à l’encontre des journalistes, mais la Cour Suprême a dû s’opposer à l’enquête menée par les juges, qui menaçaient d’ordonner des mandats d’arrêt. Des irrégularités ont ainsi été décelées dans le processus de perquisition des juges envers les journalistes.

Il semblerait que la justice soit instrumentalisée par les cartels lorsque leurs membres sont mis en cause dans des enquêtes journalistiques. « Il est évident que les cartels utilisent des pots-de-vin pour se défendre, ce n’est pas rare », ajoute Wyloën Munhoz-Boillot, correspondante à Lima pour RFI depuis six mois. Les journalistes font leur travail en respectant la loi, mais sont freinés par la justice. Un paradoxe qui ralentit le travail d’enquête des médias comme Ojo Público. Même si Óscar Castilla, le rédacteur en chef accusé de diffamation, n'a pas été condamné, l’enquête judiciaire l’a empêché de poursuivre son dossier.

Les entreprises privées, un obstacle pour enquêter

Depuis la chute des leaders fujimoristes dont Alberto Fujimori, qui a été président de la République entre 1990 et 2000, l’Etat ne contrôle plus les médias. En effet, même si certains journaux sont encore au service du gouvernement, la critique est présente dans les médias. Ainsi, les rédactions sont mieux protégées qu’il y a vingt ans et ont permis au journalisme d’investigation de se développer.

L’arrivée au pouvoir de Martín Vizcarra en 2018, président progressiste, va dans ce sens. Mais les intérêts des entreprises privées limitent toujours le travail des journalistes. Parmi ces entreprises, on retrouve celles « écran » créées par les cartels et les narcotrafiquants. À ces titres, enquêter peut être dangereux. Amanda Chaparro, correspondante pour Le Monde, France 24 et Radio France, connaît parfaitement la situation au Pérou : « Ils ont les moyens pour mettre la pression sur les journalistes, notamment dans les régions [en dehors de Lima]. Ces cartels se situent encore sur des territoires protégés, ce sont des zones de non-droit. Le seul moyen serait d’entrer avec l’armée ».

Maria Cervantes, correspondante pour Reuters confirme. Même après avoir réussi à récolter des informations sans risque, les journalistes s’imposent une forme d’auto-censure dans l’écriture. « Quand j’enquête, je dois être vigilante à ce que j’écris. Chaque phrase peut mener à une plainte. C’est difficile, car tout se fait en off, je ne peux pas tout partager ». 

Journaliste à Ojo Público, Ernesto Cabral reçoit régulièrement des menaces lorsqu’il publie ses enquêtes. Des menaces personnelles qui peuvent aller jusqu’à la menace de mort, mais aussi des menaces de poursuite en justice. Travailler dans cet environnement est compliqué. « Les entreprises avec le plus de pouvoir économique, comme les cartels, sont le principal frein pour enquêter », détaille-t-il.

Des médias indépendants, mais peu influents

Les détenteurs de titre de presse interviennent moins dans la ligne éditoriale des journaux, mais la liberté d'expression n'est pas totale. Pour plus d'autonomie, certains journalistes rejoignent des médias indépendants. Les articles d’actualités chaudes sont remplacés par des enquêtes longues et poussées. Fondée en 2014, Ojo Público se fait une place dans le paysage médiatique petit à petit. Le média a été récompensé plusieurs fois pour ses publications.

Mais la manière de traiter l’actualité de Ojo Público reste marginale. Comme IDL Reporteros, considéré comme le deuxième média d’investigation, les médias indépendants sont confrontés à un problème commun : le financement. Le journalisme d’investigation n’est pas dans les mœurs journalistiques au Pérou. « C’est un problème majeur. Ce n’est pas dans la culture de payer, pour un média qui fait de l’enquête de terrain », poursuit Maria Cervantes.

Ernesto Cabral est journaliste à Ojo Pùblico, un média d'investigation en ligne.© periodismo.fundacionmohme

Ernesto Cabral est journaliste à Ojo Pùblico, un média d'investigation en ligne.© periodismo.fundacionmohme

La zone d’influence de ces médias indépendants est ainsi réduite. Par exemple, la révélation de scandales n’a que peu d’effets directs dans la population péruvienne. « Ojo Público est surtout lu par des universitaires et des étrangers. Les Péruviens ne sont pas sensibilisés au journalisme d’investigation et n‘y prêtent pas trop attention », selon la correspondante de Reuters.

Alejandro est un lecteur assidu. Il constate un changement dans les habitudes. « Heureusement, la population se rend compte via les réseaux sociaux, [...] que le travail d’enquête est important ». Les réseaux sociaux seraient-ils le moyen optimal pour valoriser le journalisme d’investigation ? 

C’est le pari de Wayka sur Facebook. Un média lancé par de jeunes journalistes, soucieux de porter au premier plan les problèmes sociétaux. Leur page compte plus de 500 000 abonnés et leurs enquêtes ont un plus grand effet que celles de Ojo Público selon Maria Cervantes.

Des médias de masse à réaction

Le manque d’enquêtes publiées par les médias traditionnels a favorisé l’émergence de médias indépendants. Ces derniers ne donnent que très peu de place à l’investigation. Les rédactions se contentent de traiter des sujets dont la population exprime son mécontentement ou son point de vue. Alors que des problèmes sociétaux mériteraient d’être dévoilés aux yeux du grand public, les médias de masse ne semblent pas prendre leurs responsabilités. « En tant que journalistes, c’est notre devoir de parler de chose méconnue, d’informer la population », ajoute Maria Cervantes. L’analyse de l’actualité est également critiquée par les correspondants étrangers. Ils regrettent une trop grande part laissée à l’opinion dans les médias. Les journalistes donnent leur propre point de vue plutôt que de présenter les faits.

Les médias traditionnels préfèrent publier des articles en nombre plutôt que de se concentrer sur des sujets profonds. Amanda Chaparro estime que « la presse indépendante a eu un grand rôle à jouer » pour révéler des scandales alors que « la presse nationale, elle, ne dévoile pas, mais reprend les informations ». Toujours selon elle, le manque de correspondants dans les 25 autres régions en dehors de Lima pose également problème dans la perspective d’un traitement de l’information homogène sur l’ensemble du territoire.. Certaines communautés isolées, telles que les indigènes, ne sont pas ou peu représentées dans les médias.

Mais Maria Cervantes reste optimiste : « Le journalisme d’investigation se développe au Pérou » même chez les médias traditionnels. C’est le cas de La República, journal de centre-gauche, qui possède un service dédié à l’enquête et au reportage sur le terrain. Le journalisme d’investigation est une prochaine étape pour le journalisme péruvien. Une étape importante pour faire des médias péruviens des acteurs de la démocratie. Les rédactions ne sont plus autant limitées qu’il y a vingt ans et semble désormais posséder les moyens d’enquêter.

LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EN VOIE D’AMÉLIORATION

© Flickr

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Au Pérou, la liberté d’expression semble prendre une place de plus en plus importante au sein du paysage médiatique. En effet, celui-ci se diversifie, et les réformes politiques, ainsi que les structures juridiques, semblent davantage protéger l'activité journalistique. Le classement mondial de la liberté de la presse réalisé par Reporter sans Frontières en témoigne, puisqu’en 2017, le Pérou occupait la 90e place, alors qu'aujourd'hui, deux ans après seulement, le pays est remonté de 15 places. Une dynamique qui montre une volonté de progression en matière de droits humains. Dressons désormais, point par point, le bilan de notre investigation pluri-aspectuelle sur la liberté de la presse au Pérou, au regard des critères de Reporter Sans Frontière.

Concernant l’égalité entre les hommes et les femmes, le sujet semble rester au second de la scène médiatique péruvienne. En effet, quand les médias en parlent, il s’agit la plupart du temps de relater des événements morbides ou sensationnels. Cependant, un changement s'opère depuis quelques années, au travers d’un rubricage des féminicides en évolution : passant des « faits divers », aux « faits de société ». La liberté de la presse n’est pas remise en cause sur ce sujet. Il y a un problème du traitement médiatique des féminicides, mais il s’explique par les mentalités conservatrices et machiste de la société péruvienne.

Informer les populations sur le travail des enfants au Pérou n’est pas encore une pratique courante sur le territoire nationale. Bien que d’intérêt public, ce sujet d’investigation est pourtant absent des médias. Des causes multiples comme l’invisibilité de ces activités, l’accès compliqué aux sources et l’intégration culturelle de ce phénomène social, peuvent expliquer ce manque d’intérêt de la presse sur le sujet du travail des enfants. Mais surtout, cela témoigne d’un manque de pluralisme de l’information.

En matière de législation, les lois parfois sévères contre les pratiques journalistiques et la concentration des médias, des juges ou des policiers qui travaillent pour des intérêts privés, ne favorisent pas l’exercice totalement libre du métier de journaliste. Cependant, des mesures sont actuellement discutées pour soutenir juridiquement les journalistes dans leur fonction.

Depuis une vingtaine d’années, les révélations d’affaires de corruption au sein des plus hautes sphères du pouvoir sont permanentes et sont régulièrement traités par les journalistes péruviens. Une phénomène médiatique qui s’explique en partie par le fait que les entités étatiques entravent peu le travail journalistique, au contraire des grandes groupes puissant économiquement. Beaucoup d’espoirs repose sur le Président Martin Vizcarra, qui se pose meneur de la lutte anti-corruption mais dont les épaules fragiles sont pointés du doigts par les médias.

Si les médias locaux parlent peu des exploitations minières illégales, ce n’est rien à côté de celles légales. En effet, les intérêts économiques que représentent les minéraux de la région sont énormes et il n’est pas question de perdre cette richesse. De plus, les investisseurs qui financent les médias sont souvent les détenteurs de ces mines. Les rédactions ne peuvent donc pas les critiquer, du moins, pas franchement. Par ailleurs, les principaux médias sont concentrés dans les grandes villes, et peu de correspondants sont dans les campagnes proches des exploitations. 

Nous pouvons enfin dire que la presse péruvienne ne semble pas avoir une véritable culture de l'investigation. Entre une justice parfois instrumentalisée par les cartels et des journalistes poussés à l’auto censure, sous peine recevoir une plainte, l’investigation peine à se développer. Aujourd’hui, seuls quelques médias, de mieux en mieux protégées, sont capable de travailler en totale indépendance.