Situé en Afrique de l’Ouest, le Sénégal est aujourd’hui chahuté par des "vagues furieuses" comme les nomme le site d'information Dakaractu.

Le pays, pourtant réputé pour sa stabilité et son modèle démocratique, est secoué par des tensions politiques qui impactent autant sa population que les conditions de travail des journalistes sur place. La liberté de la presse est de plus en plus questionnée sous ce climat. Sur le dernier classement mondial de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières datant de 2022, le Sénégal pointe à la 73e place sur un total de 180.

Pour décrypter la situation actuelle des journalistes au Sénégal, nous allons d’abord faire un saut dans le temps en étudiant l’évolution du traitement de l’information depuis l’indépendance.

Cette première partie sera suivie d’une illustration de cette transformation avec un focus sur les événements de mars 2021.

Nous expliquerons ensuite comment le climat actuel, nuit au traitement de certains sujets, mais aussi à la qualité de l’information, notamment avec la multiplication des sites.

Enfin, nous verrons comment les jeunes journalistes abordent leur futur compte tenu du contexte actuel.

Crédit photo : Philippe Siuberski

Liberté de la presse

Un étouffement, des pas en avant puis des pas en arrière

En 63 ans d’indépendance, la liberté de la presse va et vient au Sénégal,
influencée par le climat politique, la charte africaine des droits humains et
l’envie de démocratie des citoyens.

Crédit photo : Philippe Siuberski

« Le Sénégal est présenté comme modèle de démocratie en Afrique francophone, mais la réalité est beaucoup plus nuancée », selon Christian Agbobli, chercheur en sciences de la communication, dans son étude sur l’évolution du traitement de l’information au Sénégal. La liberté de l'information reste suspendue à l'épreuve des temps politiques.

Une grande partie de l’avenir médiatique du pays de la Teranga, qui signifie « accueillir » en Wolof la langue nationale sénégalaise, s’est joué au moment de l’indépendance, le 4 avril 1960, après une longue période de colonisation française. Le président Senghor à la tête de l’État sénégalais pendant 20 ans, entre 1960 à 1980, instaure un régime de parti unique à partir de 1962. Les pouvoirs politiques de Senghor, puis de son successeur Abdou Diouf, s’appuient sur la propagande des médias d’État et ont étouffé le pluralisme de l’information dès le début de l’indépendance comme l’explique à l’équipe RIG Ayoba Faye, journaliste à PressAfrik, journal en ligne : « Au début de l’indépendance, le peuple espérait un pluralisme médiatique, mais il n’a pas eu lieu. Durant le règne socialiste de Senghor à Abdou Diouf, il n’y avait que les médias d’état qui informaient, Le Soleil (quotidien, NDLR) et La RTS (radiotélévision sénégalaise, NDLR) ».

Les prémices de la libéralisation de la presse

Dans les années 1980, le peuple sénégalais commence à revendiquer la nécessité d'une évolution démocratique. Le président Abdou Diouf a proclamé « le respect de toutes les libertés », mais il n’y a eu que peu d’avancées souligne Ayoba Faye : « C’est seulement vers la fin du règne de Diouf qu’on a permis à des médias privés de s’installer, et ces médias ont grandement contribué à la chute du régime de Diouf. De 1980 à 2000, les Sénégalais n’avaient le droit qu’à une seule chaine de télévision, la RTS. ».

Pendant les 20 années de la présidence d’Abdou Diouf, beaucoup de lois ont été déposées, inspirées par la charte africaine des droits de l’homme (1981), pour garantir les principes de liberté d’expression, un pluralisme médiatique et l’indépendance des journalistes. À Dakar, le parlement a aussi voté des réformes pour réglementer le secteur médiatique. Le Haut Conseil de la radio et de la télévision (HCRT) a été créé avec pour mission principale d'assurer un contrôle des médias et de réglementer l'égal accès des pouvoirs publics et des acteurs sociaux aux médias publics. Mais cet organisme n’a pas eu l’impact escompté comme le souligne le politologue Ndiaga Loum, dans son étude sur la communication médiatique au Sénégal : « Les acquis ont tardé à entraîner des évolutions notables dans la gestion menée par l’État sénégalais ».

Un exécutif omniprésent dans la régulation médiatique

L'affirmation de la compétence législative, puis la création du Conseil National de Régulation de l'Audiovisuel n'ont pas véritablement remis en cause le rôle central de l'exécutif en matière d'organisation de la communication au Sénégal. En effet, l'article 3 de la loi de 2006 sur le CNRA reconnaît au Président de la République le pouvoir de désigner tous les membres du CNRA en ces termes : « Le Conseil National de Régulation de l'Audiovisuel comprend neuf membres nommés par le Président de la République ». L'intervention du Président de la République au Sénégal reste donc médiatiquement et symboliquement importante, selon Christian Agbobli. À titre de comparaison, en France, le chef de l'État a une place mineure dans la régulation juridique de la presse. Le Président de la République française détient le pouvoir de désigner trois des neuf membres du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel.  Le gouvernement sénégalais possède aussi le pouvoir de réglementation dans un domaine aussi important que la publicité. L’emprise de l'État concerne majoritairement l’audiovisuel, c’est moins important sur la presse écrite ou la radio selon Mame Seydou Ba, chercheuse à l’Université Gaston Berger de Saint Louis du Sénégal. 

Malgré l’omniprésence de l'État pendant plusieurs décennies, le Sénégal est un pays qui a réussi à avoir une presse diversifiée. Le paysage médiatique sénégalais se compose de plus d’une vingtaine de radios généralistes et communautaires, de près d’une vingtaine de chaînes de télévision et d’au moins 27 quotidiens, certains publics, certains privés, selon le dernier rapport de Reporters sans frontières (RSF). La presse en ligne est aussi très développée, ainsi que les chaînes d’information sur internet.

Retour en arrière

Dans le classement mondial de la liberté de la presse 2022, le Sénégal a pourtant dégringolé. Il a perdu 24 places en un an, passant de la 49e à la 73e place sur 180. Le pays de la Teranga est désormais aux côtés de pays comme le Japon, le Kenya ou le Pérou. Ce net recul est dû à un climat politique très tendu. La cause ? Le président actuel, Macky Sall, ne s’est pas prononcé sur un potentiel 3e mandat alors que la constitution, modifiée lors d’un référendum en 2016, stipule que « nul ne peut faire 3 mandats consécutifs ». Certains partisans et soutiens de Macky Sall estiment que la date de cette modification de la Constitution pourrait permettre de ne pas prendre en compte son premier mandat. Cela transformerait un potentiel troisième mandat en second mandat et le président sortant pourrait ainsi se représenter en 2024. De l’autre côté, l’opposition accuse Macky Sall de vouloir rester au pouvoir, contre la Constitution. Toute cette controverse a donné lieu à des manifestations depuis mars 2021, et de fortes accusations entre pouvoir et opposition.

Valentin Roux

Crédit photo : Philippe Siuberski

Ayoba Faye - Journaliste reporter à et ancien rédacteur en chef à PressAfrik

Ayoba Faye - Journaliste reporter à et ancien rédacteur en chef à PressAfrik

Couverture des manifestations

Une presse sous pression depuis les événements de mars 2021

Mars 2021, de violentes émeutes secouent le Sénégal. Pendant presque une semaine, le pays connu pour sa stabilité fait l’objet de tensions à la suite de l’arrestation d’Ousmane Sonko, figure de l’opposition, accusé de viol par l’employée d’un salon de massage. Le député dénonce un complot du camp présidentiel pour l’écarter de la scène politique avant l’élection présidentielle de 2024. Le parti au pouvoir accuse Ousmane Sonko de vouloir paralyser le pays et de se servir de la rue pour échapper à la justice. S'ensuit un mouvement de contestation populaire. La jeunesse qui se sent méprisée et délaissée dans un pays où le taux de chômage avoisine 22 % sort en masse dans les rues, à travers tout le pays. Le bilan : quatorze morts dont 12 tués par balles par les forces de défense et de sécurité, selon Amnesty International.

Au plus fort de ces émeutes, aucune information sur ces événements n’est diffusée par les médias d’états comme la Radio Télévision Sénégal (RTS). Certaines chaînes privées comme Sen Tv et Walf TV voient leur signal suspendu. Elles seraient coupables selon les autorités de diffuser en boucle des images de violences et incitant à la haine. Une coupure en décalage avec une société sénégalaise d’aujourd’hui. Celle-ci, alphabétisée à 50 % selon la dernière étude de la Banque Mondiale, est devenue davantage intellectuelle et consciente des enjeux démocratiques : “Cela relève de la philosophie qu’avaient les gouvernants à l’époque des premières années qui ont suivi l’indépendance (propagande des médias d’Etat et étouffement du pluralisme médiatique, ndlr) Ça montre aussi qu’il y a un souci qui n’a pas été traité à la base.”, explique Moussa Ngom, coordinateur de la Maison des Reporters, un média indépendant fonctionnant grâce aux dons du public et dédié à l’enquête et au grand reportage.

Moussa Ngom, journaliste (Maison des Reporters)

Moussa Ngom, journaliste (Maison des Reporters)

L’instrumentalisation de l’information

Le problème qui persiste depuis l’indépendance réside en partie dans le fonctionnement du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA). L’organe créé en 2006 a plusieurs missions qui incluent de veiller à l’indépendance et à la liberté de l’information et de la communication dans le secteur de l’audiovisuel. Le directeur du CNRA est choisi par le président de la République. Une influence qui ne garantit pas son indépendance selon Moussa Ngom :  “Le manque de liberté, d’indépendance du CNRA est problématique et ils ont une conception totalement déphasée de la liberté d’informer. Les critères sur lesquels ils se basent pour censurer ne sont pas valables selon moi.”

Face à ces faits, le Sénégal donne des airs de dictature avec des tentatives de contrôle et de musellement de la presse. Pourtant, le paysage médiatique du Sénégal se compose d’au moins 27 quotidiens, de plus d’une vingtaine de radios généralistes et communautaires, et de près d’une vingtaine de chaînes de télévision. La presse en ligne ainsi que les chaînes d’informations sur internet se développent de plus en plus. Un pluralisme médiatique avec une prédominance de la politique dans le traitement de l’information. Conséquence : quand le climat politique se tend, la situation des journalistes est aussi fragilisée.

Une presse sous pression

Au Sénégal, la liberté de l’information reste suspendue à l’épreuve des temps politiques. À l’approche des élections présidentielles du 25 février 2024, le débat sur la possibilité du président Macky Sall de briguer un troisième mandat déchaîne les passions dans le pays.  Si au début, Macky Sall était catégorique sur son mandat en cours qui est considéré comme le dernier, son discours a évolué au fil des ans et il reste flou sur ses intentions. Les membres de l’opposition comme Ousmane Sonko et l’ancienne première ministre Aminata Touré estiment que la constitution sénégalaise est "très claire" et que le chef de l'État ne peut se présenter aux prochaines élections.

Intimidés par les autorités depuis les événements de l’affaire dite Ousmane Sonko, les journalistes sont aussi dans le viseur des partisans de l’opposition. Les discours se tendent entre les deux camps. Qu’ils exercent dans les médias d’État ou les médias privés, les journalistes sont tiraillés entre la déontologie et l’influence des groupes d’intérêts dans le traitement de l’information. Une dérive inquiétante qui impacte la neutralité des journalistes. Pour Ayoba Faye, rédacteur en chef de Pressafrik, le premier journal en ligne du Sénégal, difficile dans ce cas de parler d’indépendance des médias : “Il est compliqué de parler d’indépendance totale vis-à-vis de l’autorité publique. Néanmoins, certains journalistes et groupes de presse le sont et essayent de travailler selon les principes du journalisme.”

Un métier qui devient risqué

Le débat houleux sur la question du troisième mandat impacte les professionnels de l’information sur et en dehors des plateaux. Les journalistes comme Pape Alé Niang sont emprisonnés. Le patron du site en ligne Dakar Matin, connu pour ses enquêtes critiques du pouvoir, est arrêté en novembre 2022 après la publication de documents confidentiels sur l’affaire Sonko. Il sera interpellé pour “recel de documents administratifs et militaires”, “diffusion de fausses nouvelles”. Un événement rare puisque seulement deux journalistes ont été emprisonnés au Sénégal depuis 1992 selon le Comité de protection des journalistes.

Lors des manifestations de mars 2021, le préfet de Dakar ordonne aux Forces de l’ordre de charger des journalistes. Plus récemment, un reporter de l’AFP, Magatte Gaye a été interpellé et frappé dans un fourgon de police alors qu’il couvrait une manifestation de l’opposition aux abords de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Le site Dakaractu avait dû renforcer la protection de ses locaux après des menaces de partisans de l’opposition à la suite d’une interview de la femme accusant M. Sonko de viol, selon l’AFP.

“La presse sénégalaise vit des moments très difficiles"

Ayoba Faye, journaliste à PressAfrik

Veiller à l’équité dans la couverture de certains sujets, au temps de parole accordé aux deux camps, mais surtout exercer leur métier selon la déontologie établie devient de plus en plus une tâche délicate pour les journalistes malmenés par les deux camps et souvent traités de vendus. 

Marie-Claire Diouf

Le traitement des sujets sensibles

Au Sénégal, difficile d’enquêter sur tous les sujets

Si les journalistes peuvent se déplacer librement au Sénégal, certains sujets sont difficiles à traiter. Le gouvernement exerce des pressions sur les médias et les rédactions sont parfois poussées à l’autocensure.

Le 10 février 2023, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) sénégalais coupe le signal du groupe de presse Wal-Fadjiri (radio, télévision, presse écrite). Le président du CNRA, Babacar Diagne, reproche à l’organe de presse une « couverture irresponsable des manifestations à Mbacké » (une ville au centre-ouest du pays), à l’issue desquelles 69 personnes avaient été arrêtées, comme le rapportaient les médias sénégalais. Des violences avaient éclaté entre les partisans de l’opposant à la présidence Ousmane Sonko et les forces de l’ordre. Cette affaire met en lumière les pressions sur les médias par les instances du pouvoir au Sénégal ainsi que la difficulté de couvrir et d’enquêter sur certains sujets pour les organes de presse.

Influences politiques et économiques

Malgré des efforts pour professionnaliser le secteur, les médias et les journalistes du Sénégal sont dans une situation précaire, qui les maintient dépendants des pouvoirs politiques et économiques.

« C’est dangereux d’enquêter sur les agissements du gouvernement. On peut rapidement finir en prison » estime Ayoba Faye, reporter et ancien rédacteur en chef à PressAfrik, journal en ligne sénégalais. Le 9 novembre 2022, Pape Alé Niang, patron du site d’information Dakar Matin et opposant au pouvoir, est inculpé. Les autorités lui reprochent la « diffusion de documents militaires de nature à nuire à la défense nationale » et la «divulgation de fausses nouvelles» au sujet de l’interrogatoire d’Ousmane Sonko dans une affaire de viols présumés.

« Le gouvernement contrôle la majeure partie des médias et leur ligne éditoriale » poursuit Ayoba Faye. Au Sénégal, la télévision nationale privilégie les activités des partis qui composent la majorité présidentielle. Dans son classement mondial de la liberté de la presse 2022, Reporters sans frontières place le pays de la Téranga à la 73ème position, soit une chute de 24 places par rapport à 2021.

« Des difficultés à enquêter sur certains sujets »

« Au Sénégal, un des enjeux très importants au niveau environnemental et économique de ces prochaines années, c’est le début de l’exploitation du gaz et du pétrole et là-dessus, c’est difficile d’avoir les informations, il n’y a jamais eu encore de télévision ou de journaliste au Sénégal qui a pu avoir accès pour le moment aux plateformes gazières et pétrolières qui doivent entrer en action» : Adrien Marotte est le directeur adjoint du bureau de l’Agence France-Presse (AFP) à Dakar. Il explique pouvoir se déplacer librement partout sur le territoire sénégalais et n’avoir globalement pas eu de problème à poser des questions. Contrairement à d’autres pays dans la zone du Sahel où il existe des « no-go zones » pour les journalistes. Mais sur le sujet du gaz et du pétrole, il y a un problème au niveau de la transparence. Sur les moteurs de recherches, les rares articles qui évoquent ces gisements sont écrits par des médias étrangers. A première vue, peu d’enquêtes de médias sénégalais sur ce sujet.

Plus globalement les Africains ne sont pas forcément conscients des enjeux de l’écologie, comme l’explique Arnold Faysal Boukary, journaliste à la plateforme de factchecking AfricaCheck. Les reportages sur le sujet sont faisables mais existent très peu, car ils nécessitent des garanties de financements pour envoyer un journaliste sur le terrain pendant plusieurs jours. “Les ressources humaines sont là, mais parfois, par manque de possibilités et d’appui, les journalistes ne peuvent pas enquêter sur le sujet”.

Un autre sujet est particulièrement tabou au Sénégal : le droit des homosexuels. Ces derniers sont particulièrement réprimés dans le pays de la Téranga. La loi condamne d'un emprisonnement d'un à cinq ans les actes dits "contre nature avec un individu de son sexe". Là encore, les rares enquêtes sur le sujet sont menées par des médias étrangers, et les victimes qui témoignent le font sous couvert d’anonymat. 

Edouard Hautbois, Valentin Roux


Un renouvellement médiatique ?

La multiplication des sites d’information au Sénégal ramène liberté d’expression et désinformation

La population sénégalaise éprouve une certaine défiance face à la télévision, à la radio et à la presse écrite. L'arrivée des sites d’information avait fait souffler un vent d’espoir pour la liberté des médias sénégalais. Mais avec le manque de régulation qui touche le secteur, le soufflet est en train de retomber.

“Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, la presse et le peuple s’expriment [au Sénégal]”, constate auprès de l’équipe RIG Arnold Faysal Boukary, journaliste web à Dakar pour AfricaCheck, une ONG de fact-checking basée en Afrique du Sud. 

Comme beaucoup, il a noté ces dernières années une explosion du nombre de sites web d’information dans le pays. Ils servent d’alternative face à la faible diffusion des journaux, conséquence de leurs petits tirages, et aux limites des grands médias nationaux. Ayoba Faye, journaliste reporter et ancien rédacteur en chef de PressAfrik, important site d’information en ligne, affirme qu’aujourd’hui “près de 300 sites d’information pullulent sur internet”. Et le succès est au rendez-vous, comme le montrent le classement des pages internet les plus visitées dans le pays : selon l’Observatoire sur les Systèmes d’Information au Sénégal OSIRIS, sur la période 2021-2022, les sites d’information Seneweb et Dakaractu étaient respectivement en troisième et septième position, Google et Youtube trustant les deux premières places.  Outre ces médias en ligne populaires, il existe également une jungle de petits sites.

Ils apportent certes de la diversité et des opinions contraires, mais la qualité journalistique n’est pas toujours au rendez-vous: “Tous ces sites ne font pas forcément du qualitatif et certains sont là pour faire du clic, ou la course au référencement”, affirme le journaliste d’AfricaCheck. De son côté, Ayoba Faye considère que la situation actuelle résulte du retard que la presse a eu à s’adapter au web et aux réseaux sociaux. “Certains sites sont créés par des amateurs qui n’ont pas grand-chose à voir avec le journalisme, avec peu d’éthique et de morale”. El Hadji Malick Ndiaye, chercheur et conservateur, expose, dans une étude parue en 2021 dans Les Enjeux de l’information et de la communication sur les médias en ligne sénégalais, l’existence de dérapages de la part de ces derniers. 

Avec pour résultat, des sites partisans, relayant une information uniquement liée à un camp politique, une surreprésentation des actualités people ou encore l’absence parfois volontaire de certains sujets sensibles, qui mènent à la désinformation. Pour Arnold Faysal Boukary, “c’est le revers de la médaille, et qu’on le veuille ou non, on est dans l’ère où il y aura de plus en plus de cas comme ça. C’est dans ce genre de cas que le fact-checking est indispensable, nous, nous nous basons uniquement sur les faits. Une phrase, un fait”. 

Le renouvellement de l’offre médiatique sénégalaise a affaibli le secteur de la presse magazine, qui était en pleine expansion dans les années 2010, mais désormais plombé par la concurrence des smartphones, la disparition du journalisme d’investigation et le coût de l’impression papier. 

Les médias en ligne ne sont par ailleurs pas accessibles à l’ensemble des Sénégalais. En effet, la couverture internet du pays n’est pas totale, puisque selon les chiffres du gouvernement sénégalais, plus de la moitié de la population sénégalaise (53%) n’a pas accès à internet, soit 7,26 millions de personnes. Et cela, avec de fortes disparités territoriales qui renforcent les inégalités d’accès à l’information, puisque la couverture réseau d’Orange, principal opérateur mobile du pays, est concentrée à l’ouest, autour de Dakar. 

L’accès à l’information sur le web n’est donc pas égal dans le pays, ce qui participe au maintien des grands médias traditionnels. Mais même lorsqu’on habite dans une région où l’accès à internet est correct, le risque d’une coupure d’internet, comme cela peut être pratiqué dans des pays du Sahel ces dernières années ou en Iran par exemple, est réel en cas de fortes tensions politiques.

Arnold Faysal Boukary affirme n’avoir jamais vécu ce genre de coupures. Mais “cela reste une crainte pour notre métier”, ajoute-t-il. La multiplication des médias en ligne a apporté davantage de liberté d’expression et de pluralité qu’auparavant, mais elle a conduit aussi à une prolifération de la désinformation. Un défi pour les nouvelles générations de journalistes.

Victor COMBALAT

Arnold Faysal Boukary, journaliste web en fact-checking à Africacheck

Arnold Faysal Boukary, journaliste web en fact-checking à Africacheck

Au Sénégal, un avenir plein de doutes pour les jeunes journalistes

A l’heure où la liberté de la presse s’effrite au Sénégal, les jeunes journalistes s’inquiètent de la situation. Certains quittent le pays, mais d’autres cherchent des moyens pour sortir de cette crise.

«Ce n’était pas dans mes plans de partir, j’espérais réussir dans mon pays». Arrivé en France en 2021, Waly Ndiaye est étudiant en journalisme à Paris. Il était auparavant dans une formation similaire à Dakar, sa ville d’origine. Il souhaite devenir journaliste pour informer son peuple et améliorer la qualité du contenu médiatique sénégalais. Mais comme beaucoup de jeunes qui veulent exercer le métier au Sénégal, il doit faire face aux conditions précaires de la presse et de l’enseignement du journalisme de son pays. « J’aimais bien ce que je faisais, mais il n’y avait pas assez de pratique. Dans mon ancienne formation, on n’a jamais pu s’exercer à la télévision ou à la radio par exemple ». L’Etat ne met pas en place des mécanismes suffisants pour permettre aux groupes de presse ou aux écoles d’avoir des financements.

Waly ne fait pas figure d’exception dans cette « fuite des cerveaux ». Le président de la République Macky Sall avait déclaré il y a quelques mois que 80% des bénéficiaires des bourses d’excellence admis dans les classes préparatoires étaient restés à l’étranger entre 2014 et 2021. Ousseynou Ly, 26 ans, voulait partir en Europe et devenir journaliste. Il n’a pas pu atteindre le Vieux Continent, et vit désormais au Maroc, où il a pour projet d’écrire un livre sur les médias au Sénégal. « Je pense que la presse publique est corrompue par le pouvoir au Sénégal. Beaucoup de journalistes en devenir partent du pays à cause de ça ».

« La restriction est très agressive »

L’intérêt est réel pour le journalisme dans la nouvelle génération, mais la peur de la censure et des violences est présente. « Les jeunes sont tombés dans une période où la restriction est très agressive. Ils voient des journalistes emprisonnés juste pour avoir diffusé une information, cela les interpelle » explique Ayoba Faye, reporter et ancien rédacteur en chef de PressAfrik, important site d’information en ligne.

Le 30 mars dernier, le jeune journaliste de l’AFP Magatte Gaye, issu de la 48ème promotion du CESTI (Centre d'Etude des Sciences et Techniques de l’Information) est appréhendé et frappé dans un fourgon de police à Dakar alors qu’il couvre une manifestation d’opposition au pouvoir. « Vous et moi savons que je ne suis pas le premier et que je ne serai certainement pas le dernier écrit le concerné sur Twitter. Cela restera impuni, le policier sénégalais a toujours raison ».

« C’est à nous, la jeunesse, de changer ça »

Malgré tout, certains jeunes journalistes pensent que cette période compliquée est une opportunité à saisir pour faire avancer le pays. Abdoulaye Wade, étudiant en journalisme, compte bien rester au Sénégal pour exercer son métier. Très intéressé par le fact-checking, il veut donner au public des informations fiables pour sortir du flou qui règne autour de nombreuses affaires politiques du pays : « Beaucoup de choses se disent mais ne sont pas vérifiées, les hommes politiques essayent de manipuler le peuple, et la presse se contente de diffuser sans vérifier. C’est à nous, la jeunesse, de changer ça ».

D’après le sondage du réseau de recherche indépendant Afrobaromètre paru en 2021, 79% des Sénégalais pensent que les politiciens et les partis politiques diffusent souvent des informations qu’ils savent erronées.

Nouveau type de journalisme

La jeune génération semble plus sensible aux sujets de répression politique et de corruption. Tous les journalistes ne sont pas au service du pouvoir, comme l’explique Oumar Souleymane Kanté, étudiant en journalisme à Dakar : « Je suis contre le fait de dire que la presse sénégalaise est corrompue. Ça revient à dire que tous les journalistes sont complices, je ne veux pas qu’on me considère comme cela ».

Les jeunes journalistes n’intègrent plus forcément les groupes de presse classiques mais cherchent à trouver leur propre voie parmi les nouveaux médias. C’est par exemple le cas de Moussa Ngom, fondateur de la Maison des reporters, le premier média indépendant exclusivement financé par le public au Sénégal. Admis en 2021 au Global Investigative Journalism Network (une association internationale d'organisations à but non lucratif qui soutiennent, promeuvent et produisent du journalisme d'investigation), le média compte sur la jeune génération pour financer ses reportages et ainsi servir le public.

Edouard Hautbois

Waly, étudiant en journalisme

Waly, étudiant en journalisme

Le regard de l'art sur les médias sénégalais

Serigne Ibrahima Dieye

Jusqu'au 23 avril 2023, Le Suquet des Artistes à Cannes met en avant le travail de ce jeune artiste sénégalais, qui met en lumière les dérives des médias sénégalais

Corinne Cheval, l'une des responsables du Suquet des Artistes, nous explique la critique des médias par Serigne Ibrahima Dieye

Corinne Cheval, l'une des responsables du Suquet des Artistes, nous explique la critique des médias par Serigne Ibrahima Dieye