Argentine :
Milei fait tanguer les médias
Plus de 250 % d’inflation, réduction drastique du nombre d'emplois dans le service public, perte de 11 places au classement Reporters sans frontières… En Argentine, les défis sont nombreux. Ce cocktail explosif de tensions auquel est exposée la population argentine a débouché en novembre dernier sur l’élection de Javier Milei, ancien économiste et “anarcho-capitaliste”. Près de 6 mois après son élection, la situation est pourtant loin d’être stabilisée.
Milei a d’ores et déjà lancé des actions à l’encontre de la presse argentine. Pas étonnant quand on sait que le président avait partiellement snobé les médias traditionnels pour faire campagne. Très actif sur les réseaux, c’est de là que le phénomène a séduit une partie des 46 millions d’Argentins. 40% d'entre eux vivent en-deçà du seuil de pauvreté, et la classe moyenne n'est pas épargnée par un quotidien marqué par les difficultés économiques.
Le nouveau chef d’État argentin a notamment ordonné la fermeture de Telam, la plus grande agence de presse d’Amérique du Sud. Dans la nuit du 3 au 4 mars, plusieurs policiers barricadent les locaux, avenue Belgrado, à Buenos Aires. “Une surprise générale” pour ses journalistes, qui dénoncent “un attentat contre la liberté de la presse”. Au-delà du seul cas de Telam, c’est l’ensemble des médias régionaux, abonnés à l’agence, qui sont menacés de disparition. Pour ne pas voir ce scénario se concrétiser, les journalistes de Telam manifestent et visibilisent leur combat à travers leur plateforme, Somos Telam.
Le travail et la liberté des journalistes dépendent de plusieurs facteurs : la législation, la conjoncture économique, la politique menée par le gouvernement ainsi que le pouvoir des luttes sociales. Ces éléments qui régissent l’exercice du journalisme sont tous sous tension dans le pays, entravant les conditions de travail des professionnels de l’information.
Au niveau économique, le président mène une politique ultralibérale pour redresser les finances de l’Argentine et lui donner un rôle de puissance économique. Une multitude de mesures ont été proposées et pour la plupart adoptées. Mais pour l'instant, celles-ci, relevant d’une politique d’austérité, accroissent la précarité du pays et de ses habitants. L’Argentine devient en 2024 le pays d’Amérique latine le plus touché par l’inflation.
Parmi les nombreux sujets controversés à l'agenda de Javier Milei, la question de la souveraineté des îles Malouines refait surface. 30 ans après le conflit qui avait opposé l’Argentine et le Royaume-Uni, les tensions ne semblent pas s’apaiser entre les deux pays. Aujourd’hui encore, cette question reste irrésolue et sujette à polémique.
Le 8e plus grand pays du monde a chuté de la 29e à la 40e place du classement RSF entre 2022 et 2023. Nul doute que l’arrivée de Javier Milei n'améliorera pas la situation d’un point de vue journalistique, car il semble bien décidé à faire tanguer les médias.
Modes d'information en Argentine
Les Argentins plébiscitent les réseaux sociaux
Dans le sillage des autres pays idéalement placés dans le classement de l’Indice de Développement Humain (IDH), l’Argentine, 47e, voit ses habitants s'informer de plus en plus par les réseaux sociaux. En témoigne une étude de Taquion, un cabinet de conseil argentin. Selon l’organisme, les réseaux sociaux sont utilisés à 35% par les Argentins, soit plus que tout autre média. Une tendance que confirme Osvaldo Godoy, étudiant en journalisme argentin, exilé depuis deux ans aux Etats-Unis : “J’ai vécu la plupart de ma vie en Argentine, et je peux vous dire que là-bas, les gens s’informent énormément par les réseaux, que ce soit X (ex-Twitter), Instagram ou autres”.
"La génération Z utilise les réseaux pour s’informer et se divertir"
Correspondante pour l’agence de presse Télam à Londres, l’équivalent de l’AFP argentin, Gabriela Albernaz a, elle aussi, assisté à l’avènement de l’information par les "redes sociales" comme ils sont appelés dans les pays hispanophones. "Les plus jeunes, donc la génération Z, utilise les réseaux pour s’informer mais aussi pour se divertir, et c’est une tendance qui marque la consommation actuelle de l’information" détaille-t-elle. Si certains Argentins sont donc séduits par cette façon de s’informer, plus instantanée que jamais, d’autres y ont été contraints. C’est le cas de Léandro Pérez Galeone, ancien joueur de rugby en France, reconverti dans le padel. "De l’étranger, je préfère m’informer par les réseaux et les journaux numériques du Clarin et d’El Grafico". Sans pour autant délaisser les autres formes de médias : "Pour le sport, je regarde les chaînes ESPN ou TyC, comme beaucoup d’Argentins", souligne l’ex-rugbyman.
La télévision reste une référence
Car oui, la télévision est un repère pour les citoyens argentins, quand il s’agit de regarder du sport, certes, mais aussi lors de grands évènements. "Quand quelque chose se produit dans le pays ou ailleurs dans le monde, les Argentins allument la télé, pour être informer par de vrais journalistes et pas seulement pas un post ou commentaire Twitter", explique Osvaldo Godoy. Sur ce point, Gabriela Albernaz détient une explication. "Ce sont majoritairement les personnes de la génération X qui vont continuer à regarder la télévision". Preuve qu’elle n’est pas en déclin en Argentine. Guido Estrada, professeur de musique à Buenos Aires, fait justement partie de cette génération X. Et s’informe par la chaîne de La Nacion. Une télévision qui est d’ailleurs très polarisée selon lui : "La chaîne C5N est très kirchneriste, alors que la télé publique est pro-Milei, et La Nacion reste anti-kirchneriste". Selon l’étude de Taquion, 30% des Argentins nés entre 1960 et 1980 (Gén X), s’informent par la télévision, première dans cette catégorie. Autre média qui pâtit du numérique, la presse papier reste le principal moyen d’information dans les régions rurales, comme la province de Cuyo. Léandro Pérez Galeone le sait, "les Argentins aiment aller au café lire les journaux papiers". Même si les réseaux ont pris le "contrôle" de l’information en Argentine, les autres moyens d’information résistent toujours, pour l’instant.
Comment l’idéologie de Milei a infiltré la société
Aurélian Marre
Rouflaquettes broussailleuses et tronçonneuse souvent brandie vers le ciel azur d'Argentine, Javier Milei aurait la dégaine parfaite d’un bucheron tout droit sorti d’une dense forêt de Colombie-Britannique, s’il n’avait pas investi depuis décembre dernier la Casa Rosada, le palais présidentiel argentin, à Buenos Aires, bien loin du Canada. Pourtant, peu de spécialistes voyaient l’ancien économiste de 53 ans devenir locataire de cette nouvelle demeure jusqu’en 2027. Au premier tour de l’élection présidentielle, en octobre 2023, Milei pointait à 7% derrière Sergio Massa, issu de la coalition péroniste sortante. Moins d’un mois plus tard, le voilà propulsé aux manettes de la 21e économie mondiale.
Les médias français, comme internationaux, ont qualifié Javier Milei d’une myriade de superlatifs : "anarcho-capitaliste, ultralibéral, antisystème, libertarien, d’extrême droite… " et autres, la liste est longue. En réalité, Milei est avant toute chose un opportuniste. Maria-Laura Moreno-Sainz, politiste, sociologue, et enseignante-chercheuse à l’Unité de Recherche Confluence Sciences & Humanité de l’UCLY (Lyon Catholic Université) est spécialiste de l’Argentine. Pour elle, Milei a construit sa victoire sur un terrain qui lui est propice, à savoir les réseaux sociaux. "À la Trump, il a utilisé un discours virulent sur X (ex-Twitter). C’est quelque chose qui marche bien, cela appelle à l’émotion, à l’immédiateté, sans prise de recul et distanciation vis-à-vis de la pensée ni du discours en soi".
Et c’est précisément pour cela que Javier Milei peut objectivement être décrit comme opportuniste, dans la mesure où les Argentins s’informent majoritairement par les réseaux sociaux. Fervent adepte de X (ex-Twitter), il a également diffusé ses idées sur TikTok et Instagram. El Peluca Milei, un compte fan du président, pointe à 1,5 million d’abonnés Instagram, soit trois fois plus que le compte officiel son adversaire, Sergio Massa. Créé par un adolescent admiratif, ce compte, qui se décline aussi en chaîne YouTube, n’a fait qu’accroitre la présence numérique de Milei.
Le même conseiller que Bolsonaro
D’autant plus que le président argentin a pu s’entourer de Fernando Cerimedo, spécialiste marketing et ancien conseiller de campagne de Jair Bolsonaro. Un rôle capital relevé par la journaliste de La Nación Delfina Celichini, et qui a permis "d’infiltrer la société via les réseaux sociaux et les jeunes". Alexandre Agache a vécu à Buenos Aires lors d’un échange universitaire, il décrit dans son analyse pour Sciences Po Lille la recette du succès de la communication de l’homme à la tronçonneuse auprès de la population argentine : "Plans rapprochés, sous-titres en gras, typographie jaune tape à l’œil, bande son entraînante… Ce modèle a permis à Javier Milei d’être connu même dans les lieux les plus reculés d’Argentine".
Lutte contre la casta grâce aux réseaux
Si Milei s’est abondamment servi des réseaux pour construire sa campagne choc, il n’a pour autant pas délaissé la télévision, accordant des interviews, principalement à La Nación, média classé à droite. Il y détaille en août 2023 son plan de modification de l’Etat. Le chef d’Etat a d’ailleurs démis son ministre du travail de ses fonctions en direct le 11 mars 2024. Ce n’est pas la seule action loufoque du président sur les antennes. Il avait détruit une maquette de la Banque Centrale argentine en 2018, sur la chaîne Canal de la Ciudad. Indéniablement, Milei continue de susciter des polémiques pour propager son idéologie anti-Etat dans les strates de la société argentine, et ce, majoritairement grâce aux réseaux, comme l’indique Maria-Laura Moreno-Sainz : "Le langage colloquial argentin a tendance à être vu de France comme grossier. Milei a ajouté à ce discours, qui peut être grossier, mais amical et chaleureux, une couche de haine et de violence discursive".
Au même titre qu’un Trump ou un Bolsonaro, Milei a donc basé sa campagne sur cette stratégie. Selon Pablo Betesh, ancien journaliste et freelance en Argentine, "c’est par Twitter que Milei s’est fait connaitre comme personnage qui lutte contre la casta (l’élite), c’est par ce même réseau qu’il est devenu Président de la République. Il n’a pas eu recours à l’appui des grands partis ni des médias traditionnels". Mais alors pourquoi Milei s’est-il si peu appuyé sur les médias argentins ? C’est là encore que Milei a fait preuve d’opportunisme, puisque l’Argentine, et ses groupes de presse, ne sont pas moins péronistes ou kirchneristes qu’avant. Petite explication : Juan Perón arrive au pouvoir en 1946. Son mouvement ancré à gauche, le péronisme, aura une influence sur l’Argentine jusqu’à aujourd’hui. Par la justice sociale, et l’indépendance économique, cette alternative au socialisme et au communisme qu’est le péronisme, a mené à une rupture face aux intérêts des élites argentines. Suivant les périodes, le concept s’est réinventé. En témoigne le kirchnerisme du nom de Nestor Kirchner, qui a pris le relais du péronisme avec sa femme, Cristina, lors de son élection en 2003.
"Il y a autant de péronistes qu’avant"
Milei, lui, se clame paradoxalement antipéroniste, mais dans le même temps, anti-élites, comme… Perón. Les médias argentins, à l’instar de la population, restent marqués par le péronisme, selon Maria-Laura Moreno Sainz : "Il y a encore des gens qui se considèrent comme péronistes, c’est une évidence. Il y en a autant qu’avant". Les titres anti-Milei sont nombreux : Página 12, El Destape, El Argentino, C5N, La 750, La TV Pública, Radio Nacional ou encore l’agence de presse Télam, d’ailleurs suspendue par Javier Milei pour "propagande". Pour Silvia Naishtat, journaliste à Clarín, cette décision est compréhensible : "Télam ne remplissait plus ses objectifs, c'était un organe de propagande en sureffectif pour le pouvoir en place".
Dans le cadre de sa campagne, le paysage médiatique argentin, majoritairement opposé à ses idées, ne permettait tout simplement pas à Milei de s’en servir pour faire passer son idéologie « anarcho-capitaliste », d’où sa présence sur les réseaux. Et ce, même si le président bénéficie du soutien de "journalistes très favorables à sa politique, qui travaillent à la radio et à la télévision. Ils sont également très actifs sur les réseaux sociaux avec des slogans faisant l'éloge de sa gestion", fait remarquer Silvia Naishtat. Pour Pablo Betesh, la presse argentine est surtout en déclin : "Le journalisme argentin s’est appauvri au même rythme que les autres domaines du pays. Il est difficile de trouver des informations pas ternies de commentaires qui cherchent à nuire aux personnages de la vie politique nationale, peu importe leur parti ou idéologie. Dans tous les cas, la stupidité et les accusations banales l’emportent".
Car les médias traduisent une polarisation évidente de la population, exacerbée par l’arrivée au pouvoir de Javier Milei. Gabriela Albernaz, correspondante pour Telam à Londres, évoque des craintes face à la suspension de son agence de presse : "C’est très inquiétant. Cela représente une perte importante pour le journalisme argentin et pour la société en général". Parallèlement, Javier Milei mène une politique agressive envers les médias publics, qui s’inscrit dans un contexte global de "volonté de privatisation" décrit Maria-Laura Moreno-Sainz.
Quand bien même il est aux commandes de l’Argentine depuis décembre dernier seulement, Milei a d’ores et déjà pris des mesures contre la presse, malgré l’absence de majorité au parlement. "La presse recevait des gros montants d’argent pour ce qu’on appelle ici la pauta publicitaria ("guide de la publicité", principal revenu des journaux). Cette pauta publicitaria a été suspendue par Milei. On peut bien imaginer que ces journaux ne jouissent pas du même revenu qu’à l’époque de Fernández ou des Kirchner". Pour enfoncer le clou, Encuentro, l’équivalent d’Arte en France, a également été visée par le président sud-américain. Pour autant, la politiste et sociologue Maria-Laura Moreno-Sainz est sans équivoque : "Je ne pense pas que Milei réussisse à couper court avec le péronisme, qui reste un marqueur de la société".
L’opposition déjà menacée ?
Il est possible dès lors d’invoquer le contexte économique global de l’Argentine, où les 143% d’inflation au moment de l’élection de 2023 ont peut-être influencé la politique coercitive de Milei à l’égard des médias argentins. Mais lorsqu’un président déclare qu’il veut "botter les fesses des keynésiens et des collectivistes de merde", et "[combattre] les zurdos (gauchistes)", il paraît légitime de douter de son objectivité vis-à-vis de la presse. L’opposition, dans son ensemble, reste largement active, mais commence déjà à subir les prémices de l’hostilité du président. "Les manifestations sont encadrées désormais. Il y a eu tout un protocole créé par le gouvernement Milei pour obliger les gens à marcher sur les trottoirs pendant une manifestation", souligne Maria-Laura Moreno-Sainz. Autre victime directe du populiste Javier Milei : l’association H.I.J.O.S. Elle lutte pour emprisonner les responsables des exactions de la dictature argentine de Jorge Videla de 1976 à 1983, par l’intermédiaire des enfants des disparus de cette période sombre. "Des hommes du camp de Milei ont récemment cambriolé une maison d’un membre d’H.I.J.O.S. et ont inscrit des tags de La Libertad Avanza, le parti de Javier Milei" explique la sociologue et politiste. Si Maria-Laura Moreno-Sainz établit des liens entre la dictature de Videla et l’ère Milei, l’intéressé est le deuxième président le plus populaire du monde selon Morning Consult, société de veille américaine. Une popularité que confirme sur place Silvia Naishtat, la journaliste de Clarín : "L’opinion publique lui est très favorable". Preuve que l’Argentine est un pays socialement tiraillé, comme si la tronçonneuse de Javier Milei était le symbole de cette fracture, déjà préexistante.
Le "Trump argentin" est résolument anti-média. Il ne les a presque pas utilisés pour sa campagne, il souhaite clairement les étouffer politiquement et financièrement durant son mandat. Et les premiers à en pâtir seront les journalistes eux-mêmes. Nombre de questions se posent sur leur avenir, quid de leur statut ? Quels seront leurs droits, leur reconnaissance… ?
En Argentine, le journalisme se heurte aux difficultés socio-économiques du pays
Flavie Veillas
Congés payés, indemnités de licenciement, durée de travail limitée à 8 heures par jour…Sur le papier, les droits des journalistes argentins semblent respectés. La profession s’est vu attribuer un statut spécifique en 1975, un an, donc, avant le coup d’Etat de 1976. Ce statut protège la liberté d'expression, d'information et de pensée des journalistes dans l'exercice de leur profession. Il prévoit également le libre accès des journalistes à l'information et aux fonctions publiques, ainsi que la libre adhésion aux syndicats. Ces droits sont le fruit d’un accord créé par le syndicat historique des journalistes argentins. Et selon, Jorge Pailhé, journaliste à l’agence de presse argentine Telam, "c’est un très bon accord, qui est toujours en vigueur, mais les entreprises privées en général ne le respectent pas", déplore-t-il.
Ce statut juridique, qui permet aux journalistes de toucher 10 fois leur salaire brut lorsqu’ils sont licenciés sans motif, ou bien d’être payés double lors des jours fériés, n’a pas ou peu évolué depuis son instauration, soit depuis plus de 40 ans. "Nous n’avons pas de législation spécifique pour le journalisme sur Internet, qui implique d’autres modalités et une nouvelle forme de travail, et cela rend notre statut juridique obsolète", explique Irene Hartmann, journaliste pour le quotidien argentin Clarin, en ajoutant que le métier a fortement évolué, et que le statut des journalistes n’a pas suivi les mutations de la profession au cours des 15 dernières années. Un retard qui s’explique par une longue période pendant laquelle les syndicats de journalistes ont trempé dans la corruption avec politiques et entreprises. "Les entreprises étaient propriétaires des médias, mais elles étaient aussi, d'une manière ou d’une autre, membre des syndicats ou les syndicats avaient un accord avec elles. Cela signifie que nous n'avions pas de représentation syndicale jusqu'à il y a 10 ou 11 ans", témoigne la journaliste de Buenos Aires. Par ailleurs, l’ancien principal syndicat des journalistes de la capitale argentine, l’UTHBA, utilisait l’argent des journalistes syndiqués au profit des entreprises, au détriment de la défense des droits de ses adhérents. Ce qui explique la place prépondérante qu’occupaient les entreprises de presse dans ce syndicat.
"La plupart des journalistes gagnent si peu d’argent qu’ils ont tous plus d’un emploi"
Lors de la création du nouveau syndicat de presse de Buenos Aires, le Sipreba, dont le bureau est entièrement composé de journalistes, "il a fallu de nombreuses années pour que le ministère du Travail reconnaisse ce syndicat. Et même s'il n'y avait plus de membres de l'ancien syndicat dans celui-ci, c'était toujours eux qui pouvaient légalement accepter des augmentations de salaire. Et ce n'est que très, très récemment que le ministère du Travail a reconnu le Sipreba", ajoute la journaliste qui jongle entre différents médias afin de pouvoir vivre dignement.
En Argentine, un journaliste est rémunéré en moyenne 400 euros par mois, soit 371.950 pesos argentins, et le salaire minimum s’élève à 215 euros, soit 200.000 pesos. Dans un contexte d’inflation qui s’élève à plus de 200 % sur l’année 2023, selon l’Institut national de la statistique (Indec) et un salaire qui n’a augmenté que de 13 % dans le même temps, "les journalistes vivent sous le seuil de pauvreté selon ce qui est mesuré par l'indice national des statistiques de l'Argentine et font partie des corps de métier les moins rémunérés du pays", indique-t-elle. Au sein de la rédaction de Clarin, le plus grand quotidien argentin, nombreux sont ceux qui cumulent leur contrat à durée indéterminée, à des interventions à la télévision, à la radio ou bien en tant que professeur à l’université, afin de compléter leur salaire, à l’instar d’Irene. "La réalité est telle que la plupart des journalistes gagnent si peu d’argent qu’ils ont tous plus d’un emploi. Donc même si vous travaillez sept ou huit heures, vous devez ajouter une activité", raconte la journaliste divorcée et mère deux filles. "Beaucoup de mes collègues travaillent le matin comme moi. Ils rentrent chez eux, travaillent ailleurs l’après-midi, se couchent très tard et tout le monde dort très peu. C’est ça le quotidien, dans un contexte d’inflation élevée et de salaires très bas", regrette-t-elle. Les difficultés financières des journalistes sont plus accentuées en province, où les médias ont des moyens plus faibles, et ne peuvent se permettre des augmentations de salaires.
Des pressions gouvernementales qui affaiblissent les syndicats
Cette "misère financière" comme l’appelle Irene, n’est pas seulement due à l’inflation. "Le ministère du Travail pourrait améliorer cette situation, et le gouvernement précédent aurait pu le faire, mais il ne l’a pas fait parce que les journalistes ont beaucoup de pouvoir, notamment sur la vie politique", explique-t-elle. Un pouvoir qui peut s’avérer limité par certaines institutions étatiques qui font pression sur les journalistes, et constituent, de facto, un obstacle à la liberté d’expression. "Il y a de grosses pressions de la part des pouvoirs politiques. Ils exercent leur influence sur les journalistes ou des médias en particulier. Et c'est précisément cela qui génère une autocensure qui est l'un des plus grands problèmes pour la vie démocratique", souligne Cynthia Luján Ottaviano, journaliste argentine, essayiste, enseignante, et docteur en communication.
Les journalistes peuvent aussi être importunés par de nombreux secteurs influents dans le pays sud-américain. "La sphère religieuse, économique ou militaire peut entraver les journalistes dans la liberté de leur exercice", juge la fondatrice et directrice du Bureau du défenseur public, spécialisée dans les médias publics. Ces pressions, Jorge Pailhé, le journaliste de Telam, les ressent dans la capitale du pays, son lieu de travail. "Le gouvernement de la ville de Buenos Aires est un pouvoir en soi, qui est très puissant car il a beaucoup d'argent. Ce gouvernement finance, par le biais de la publicité, presque tous les médias. En étant leur principale source de revenus, il vise ainsi à empêcher toute critique de la politique conduite", témoigne le journaliste de 64 ans. Depuis son arrivée à la tête du pays, en novembre 2023, Javier Milei a recours à des pratiques qui offensent la presse. "Cela va de la stigmatisation, en considérant tout journaliste qui n'a pas la même opinion que l'Etat comme corrompu, et va jusqu’à des agressions physiques. A ce jour, la liste des journalistes attaqués par le président est longue, et ce sont notamment des femmes. Cette situation, en plus de la perte d'emploi, affecte inévitablement le travail des journalistes", raconte Paula Cejas, directrice du bureau d’Amérique latine de la Fédération internationales des journalistes. Et, une nouvelle fois, le pouvoir des syndicats est faible pour faire face à ces problématiques. "Les syndicats ont plus un pouvoir symbolique que réel", déplore le journaliste. Un constat qui rejoint celui d’Irene, "actuellement, le pouvoir des entreprises est beaucoup plus élevé que celui des syndicats."
En Argentine, la confidentialité des sources journalistiques est protégée par l'article 43 de la Constitution, depuis une réforme constitutionnelle de 1994. L'article stipule expressément que "le secret de l'information journalistique ne peut être affecté". Et en ce qui concerne le régime de protection sociale, "nous avons les mêmes droits que n'importe quel autre travailleur, (à l'exception du droit à une double indemnisation en cas de licenciement sans motif) c'est-à-dire recourir à un service social, mais le nouveau syndicat (Sipreba) travaille pour que nous ayons notre propre régime de protection sociale", déclare la journaliste de Clarin, qui garde espoir en un avenir meilleur pour sa profession malgré le contexte socio-économique de son pays.
"Nous n’avons pas de législation spécifique pour le journalisme sur Internet, qui implique d’autres modalités et une nouvelle forme de travail, et cela rend notre statut juridique obsolète"
« Il y a de grosses pressions de la part des pouvoirs politiques. Ils exercent leur influence sur les journalistes ou les médias »
Cynthia Luján Ottaviano, docteure en communication
"Un attentat contre la liberté de la presse" : la tentative de fermeture de l'agence Telam vécue par ses journalistes
Aurélien Dufour
Un contrôle total. Depuis le 4 mars, deux bâtiments avenue Belgrano, à Buenos Aires, sont barricadés. L’accès est strictement interdit. Plusieurs policiers veillent à ce que les directives soient respectées. Ces locaux, ce sont ceux de l’agence de presse publique Telam. La deuxième plus grande agence de presse hispanophone. L’ordre de fermeture provient d’un homme : Javier Milei.
Le 1er mars, le nouveau chef d’État argentin promettait "la fermeture de Telam, qui a fonctionné pendant des années comme une agence de propagande" lors de son discours d’ouverture des séances parlementaires. Dans la nuit du dimanche 3 au lundi 4 mars, les derniers journalistes encore présents à l’agence quittent les lieux. Sur le perron, des policiers font chemin inverse. Les forces de l’ordre s’apprêtent à condamner le bâtiment. "C’était un coup très violent, la police a débarqué sans aucune justification judiciaire. Ils ont fermé les deux bâtiments de l’agence avec des grilles. C’était la surprise générale", se remémore Hernán Campaniello, secrétaire de rédaction chez Telam.
Privatisation des médias publics
Quelques jours plus tard, tous les employés de l’agence Telam reçoivent le même courriel. Ce mail les "dispense" d’aller travailler pour les sept prochains jours. "On reçoit chaque dimanche soir cette même lettre. Sauf que Milei continue de payer nos salaires. C’est une dichotomie que l’on ne comprend pas", présente-t-il, dubitatif.
"On est dans le suspens total", corrobore Marianela Mayer, ancienne journaliste au service international de Telam, qui se dit "triste, énervée, frustrée" de cette opération, qu’elle suit aujourd’hui depuis Paris.
Le lendemain, plus de 5.000 personnes se massent devant le siège de Telam. Des journalistes, bien sûr, mais aussi des membres du département "publicité officielle" de Telam, qui lui aussi est fermé. À leurs côtés se trouvent des personnalités politiques ou du monde de la culture qui enchaînent les discours. "On a décidé de rester sur place, car on a peur de perdre nos archives", craint M. Campaniello. "Ici, il y a les plus grandes archives photos de l’Argentine. C’est le patrimoine des Argentins."
Si les journalistes avec qui nous avons échangé font part de leur surprise quant à l’intervention de la police la nuit du 3 au 4 mars, ils redoutaient une telle décision de la part de Javier Milei. "Dans sa campagne, Milei avait évoqué une privatisation des médias publics. Donc là, ça va un peu dans ce sens", évoque Marianela Mayer. Le 20 décembre 2023, Javier Milei a publié un décret prévoyant notamment que "les sociétés ou entreprises avec participation de l’État, quels que soient leur type ou forme sociétaire, seront transformées en sociétés anonymes". Les médias publics sont concernés par ce décret.
Telam a immédiatement lancé un recours en justice pour demander la nullité du décret, rapporte Le Monde. "Pour fermer l’agence, il faut voter une loi. Et cela passe impérativement par le Congrès. Donc moi, je ne parlerai pas encore de fermeture. C’est le discours que le gouvernement veut installer", précise Marianela Mayer.
"Il me fait penser à Donald Trump"
Car au-delà du seul cas de Telam, c’est l’écrasante majorité des médias régionaux qui sont aussi menacés de disparition. À l’image de l’AFP (Agence France Presse), Telam fournit des dépêches, des sons, des photos et des vidéos à l’ensemble de ses médias abonnés. Parmi eux, figurent notamment des médias en province qui n’ont pas les moyens d’avoir leurs propres correspondants dans le pays. "Pour obtenir des informations sur ce qu’il se passait à Buenos Aires et à l’international, ils avaient Telam. Maintenant, ils ne l’ont plus", constate Marianela Mayer. Le Capital à Rosario, El Tribuno de Salta ou encore El Diaro Uno à Entre Rios sont particulièrement concernés. Tout comme Perfíl, un journal dominical, confronté à d’importantes difficultés économiques. "Javier Milei s’est réjoui que ce média fasse faillite car les journalistes là-bas sont des ‘gauchistes’ ou des ‘communistes’ ", ajoute Hernán Campaniello. Des universités et associations civiles, elles aussi, ne recevront plus le contenu de Telam. "C’est tout cet univers des médias pluriels, qui donnent des voix à celles et ceux que l’on n’entend pas forcément à Buenos Aires, qui risquent de disparaître", prévient Marianela Mayer.
"Ce qui est en train de se produire, c'est un attentat, une attaque contre la liberté de la presse", alerte l’ancienne rédactrice de Telam. D’après les journalistes que nous avons interviewés, Javier Milei ne semble pas prendre la mesure du rôle des agences de presse. "Quand Milei parle, il me fait penser à Donald Trump. Ce ne sont que des fake news", compare-t-elle. "On est habitués aux mensonges du président. Il a dit que les agences de presse n’étaient plus importantes au XXIe siècle car il y a les réseaux sociaux, Twitter", prend en exemple le secrétaire de rédaction de Telam.
Cinq tentatives de fermeture en trente ans
La composition du gouvernement de Javier Milei a aussi alimenté les craintes de voir, un jour, une telle mesure. "Il y a eu des anciens membres du gouvernement de Macri [Mauricio Macri, ancien président argentin de 2015 à 2019], notamment l’ancien secrétaire des Médias Hernán Lombardi", cite Marianela Mayer.
En 2018, Hernán Lombardi avait lancé un plan massif de licenciements sur l’agence Telam. 40% des employés étaient alors concernés. "On avait alors initié un grand mouvement de grève. On avait aussi saisi la justice car Macri et Lombardi n’avaient pas respecté le Code du Travail argentin. Et la justice nous avait donné raison", se souvient l’ex-journaliste de Telam. "C’était quelque chose d’amer pour Hernán Lombardi et, à mon avis, il veut à tout prix refermer l’agence".
En trente ans, l’agence Telam a essuyé cinq tentatives de fermeture. "En 1996, le ministère de l’Économie sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999) avait ordonné la fermeture de l’agence. On a lutté et, finalement, trois mois plus tard, on a retourné cette décision", se rappelle Hernán Campaniello, qui a rejoint Telam il y a 25 ans. En 2001, 2006 et donc 2018 avec Macri, le gouvernement argentin a souhaité l’arrêt de Telam, sans succès.
Mais six ans plus tard, le contexte n’est pas le même. L’inflation devrait atteindre 250% en 2024 sur un an. Les licenciements se multiplient dans tout le secteur public, dont les médias notamment la télévision publique (Canal 7 – Televisión Pública Argentina) ou la radio nationale. Les journaux télévisés et radiophoniques ne sont plus diffusés les week-ends. "Le 24 mars dernier, jour d’hommages aux victimes de la dictature, c’était la première fois qu’un média public n’était pas présent pour faire la couverture en direct et enregistrer les archives. C’est tout le symbole de ce démantèlement des médias publics en Argentine", regrette Marianela Mayer.
Sous le contrôle du ministère des Communications
Si Telam a autant été dans le viseur des différents gouvernements, quelle que soit leur orientation politique, l’organisation de l’agence de presse surprend. "À la différence d’autres agences de presse publiques comme l’AFP, Telam dépend du ministère des Communications. Donc chaque nouveau gouvernement utilise parfois Telam pour faire une petite opération presse, que ce soit les Kirchner [Nestor, président de 2003 à 2007 & Cristina Fernández, présidente de 2007 à 2015, NDLR], Carlos Menem, Mauricio Macri ou Javier Milei", explique Hernán Campaniello. "Mais ce sont de petits cas ponctuels, ce n’est pas la norme", tempère l’ancien journaliste à RFI, la BBC ou l’AFP.
Son ancienne collègue, Marianela Mayer, affirme que les employés ne sont pas opposés à une restructuration de l’agence, mais pas sous n’importe quelle forme. "On propose une nouvelle loi mettant Telam sous le contrôle du Parlement et non exclusivement du gouvernement. On est actuellement en train de chercher des signatures", détaille-t-elle. En 2018, lors des grèves massives contre les licenciements de Mauricio Macri, cette idée avait déjà émergé, mais sans aboutir.
La même année, les journalistes avaient par ailleurs lancé la plateforme SomosTelam (Nous sommes Telam) pour continuer à exercer leur métier malgré les restrictions. Six ans plus tard, la plateforme a été rouverte. L’occasion de donner de la visibilité à leur action, de continuer à porter la voix des minorités mais aussi de traiter l’actualité. À commencer par le 42e anniversaire du début de la guerre des Malouines, le 2 avril. Un autre sujet ravivé par l’élection de Javier Milei.
Sources photos : Somos Telam
L'élection de Javier Milei relance l’épineuse question de la souveraineté des Malouines
Chloé Bach Chaouch
L'élection fracassante de Javier Milei à la présidence argentine le 20 novembre dernier avec 55,95% des suffrages fait souffler un vent de changement radical sur le pays. Parmi les sujets controversés soulevés par son élection, le vieux contentieux de la souveraineté des Malouines est remise sur le devant de la scène, suscitant des inquiétudes et des réactions de la part du Royaume-Uni auquel l’archipel est rattaché et qui compte désormais plus de 3700 habitants.
Les origines de ce différend territorial remontent à trois siècles, en 1690, lorsque le navigateur britannique John Davis explore et baptise l'archipel du nom de "Falkland". L’archipel, composé de deux îles principales et de plus de 750 îlots sur une superficie de 12.000 km2 est situé à moins de 500 kilomètres des côtes argentines.
Près d'un siècle plus tard, en 1763, le Français Louis Antoine de Bougainville fonde la première colonie permanente qu'il nomme les "Îles Malouines". S'ensuivent alors des décennies de tensions et de revendications croisées entre les Britanniques, les Français et les Espagnols sur ce territoire inhabité aux conditions climatiques rudes. Le 2 avril 1982, sans déclaration de guerre, les forces spéciales argentines débarquent sur l'archipel et s'emparent rapidement de la capitale Stanley. Margaret Thatcher, alors Première ministre britannique, décide de ne pas lâcher le territoire et envoie la Royal Navy pour reprendre le contrôle. Après trois mois de combats meurtriers, l'armée argentine capitule le 14 juin 1982, laissant derrière elle 649 morts côté argentin et 258 côté britannique. Le conflit laisse des cicatrices profondes dans les deux pays.
Depuis lors, la question de la souveraineté des Malouines est restée un sujet de tension entre l'Argentine et le Royaume-Uni. En mars 2013, un référendum est organisé dans l'archipel, sans surprise, 99,8% des participants veulent conserver le statut de territoire britannique d’outre-mer. L'Argentine reste néanmoins déterminée dans sa volonté de récupérer l’archipel. Il est clair que la question de la souveraineté des îles Malouines/Falkland fait l'objet d'un large consensus national en Argentine, au-delà des clivages politiques.
"Si il y a encore un sujet qui peut faire l'unanimité quelle que soit la position politique de chacun c'est bien le cas des Malouines. C'est le bouton national absolu sur lequel on peut appuyer quel que soit le gouvernement. Il s'agit de la question transversale sempiternelle, ça fait partie de la mémoire collective."
L'élection de Javier Milei en novembre dernier a ravivé les débats sur cette question délicate. En tant que candidat d’extrême droite populiste, Milei a déclaré que "la souveraineté de l'Argentine sur les îles Malouines n'est pas négociable" et qu'il faudrait "voir comment les récupérer" par la voie diplomatique, excluant l'option militaire. Cette prise de position a été accueillie avec inquiétude par le gouvernement britannique. "Je pense que l'on ne peut pas laisser quelqu'un conquérir un autre territoire par la force. Les Britanniques ont perdu une demi-douzaine de navires et plus de 200 hommes en reprenant les îles. Après avoir fait ce sacrifice de sang... pour le gouvernement britannique il n'y a désormais plus aucune chance d'y renoncer à moins que la volonté démocratique des habitants des îles Malouines soit de devenir des citoyens argentins." explique Timothy Gibbs, professeur associé (MCF) à l'Université Paris-Nanterre, spécialisé dans l'histoire du Commonwealth.
Au lendemain de son élection, Rishi Sunak, Premier ministre du Royaume-Uni, a adopté une position ferme pour défendre la souveraineté britannique sur l'archipel des Malouines/Falklands face aux revendications argentines. Dans un communiqué officiel, il a dénoncé avec vigueur la décision de l'Union européenne de reconnaître le nom espagnol "Islas Malvinas" aux côtés de l'appellation britannique "Falkland Islands". Le Premier ministre a qualifié ce choix de "regrettable" et de "complètement insensé" envers les habitants des Malouines, soulignant que cela revenait à cautionner les revendications territoriales "injustifiées" de l'Argentine sur les îles.
Sunak a réaffirmé avec fermeté que les Malouines sont un territoire d'outre-mer britannique au sujet duquel les habitants ont exprimé à plusieurs reprises leur volonté "légitime" de rester sous souveraineté du Royaume-Uni lors de référendums. Bien que Milei ait écarté l'option militaire, ses déclarations sur la "récupération" des Malouines par la voie diplomatique ont suscité de vives inquiétudes à Londres. Certains craignent que de telles revendications ne ravivent les tensions bilatérales et ne compromettent les relations entre les deux pays.
Du côté des médias, suite à la déclaration de Javier Milei le journal Clarin a soulevé la question de ce que l’Argentine pouvait attendre du gouvernement Milei dans les relations avec le Royaume-Uni. Clarin opte pour une approche "juridiciste-principiste" basée sur le droit international et le multilatéralisme, adoptée par les gouvernements d'Alfonsín, Kirchner et Fernández. Cette voie implique une confrontation discursive avec le Royaume-Uni. Clarin appelle à une approche équilibrée, sans renoncer aux revendications de souveraineté argentine tout en évitant une rhétorique belliqueuse qui nuirait aux intérêts économiques du pays. Le journal semble ouvert à explorer une "troisième voie" diplomatique sous Milei. Outre-Atlantique, le journal britannique “The Telegraph”, rappelle que la question des Malouines est une question de sécurité nationale pour le Royaume-Uni et qu’une présence militaire britannique dans les îles est essentielle pour dissuader toute agression argentine.
Une situation en stand-by ?
Toutefois, si Milei brandit la rhétorique de la souveraineté sur les Malouines, plusieurs experts doutent cependant de sa réelle volonté d'engager un bras de fer avec Londres. “La question des Malouines est traitée dans la commission des décolonisations des Nations Unies. Milei revendique beaucoup les îles Malouines mais après avoir dialogué avec David Cameron (Ministre des affaires étrangères), ce dernier lui a dit qu’il s’agissait d’une affaire réglée et que les Britanniques avaient gagné cette guerre donc aucun débat n’était envisageable. Javier Milei ne peut donc pas faire grand chose, il n’est pas dans une position de supériorité pour revendiquer l’île.” explique Célia Himelfarb, économiste et professeure à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine (IHEAL).
Toutefois, si Milei brandit la rhétorique de la souveraineté sur les Malouines, plusieurs experts doutent cependant de sa réelle volonté d'engager un bras de fer avec Londres. “La question des Malouines est traitée dans la commission des décolonisations des Nations Unies. Milei revendique beaucoup les îles Malouines mais après avoir dialogué avec David Cameron (Ministre des affaires étrangères), ce dernier lui a dit qu’il s’agissait d’une affaire réglée et que les Britanniques avaient gagné cette guerre donc aucun débat n’était envisageable. Javier Milei ne peut donc pas faire grand chose, il n’est pas dans une position de supériorité pour revendiquer l’île.” explique Célia Himelfarb, économiste et professeure à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine (IHEAL). Une quelconque action militaire unilatérale serait certainement condamnée par la communauté internationale et isolerait davantage l'Argentine sur la scène mondiale.
"Milei a peu d'intérêt, d'un point de vue économique, à lancer une opération militaire. Surtout qu'il joue la carte du libéralisme économique. Il a besoin d'investissements étrangers. Il peut y avoir une rhétorique guerrière mais le combat se déroule sur d'autres terrains." analyse Étienne Augris, professeur d’histoire et de géographie en section internationale britannique.S'engager dans une guerre risquerait donc de replonger le pays dans le chaos. Alors que l'hyperinflation ronge le pouvoir d'achat des Argentins, la priorité absolue de Milei semble donc être le redressement de l'économie nationale. La question territoriale des Malouines, aussi sensible soit-elle, pourrait bien passer au second plan face à l'urgence de juguler la crise financière.
Crise économique : la population, victime collatérale de la tronçonneuse de Javier Milei
Eulalie Mérel
Inflation grandissante, dévalorisation de la monnaie, fort taux de pauvreté. L’argentine vit aujourd’hui une crise économique et sociale très intense. Et l’élection de l’ultralibéral Javier Milei en 2023 ne semble pas, pour l’instant, mener à une stabilisation de la situation. "Ce n’est pas Milei qui a créé les taux d'inflation, mais il l'a amplifié d'une manière assez impressionnante " analyse Celia Himelfarb. L’économiste et maître de conférences invitée à l’Institut des Hautes études de L’Amérique Latine constate : " Il veut lutter contre l'inflation, mais l'inflation était de 25% le premier mois où il a gouverné. Puis de 13% le deuxième mois". En tout, pour l’année 2024, l’Organisation de Coopération et de Développement Economique prévoit un taux d’inflation d’environ 250%. Un chiffre en forte hausse, bien supérieur au taux d’inflation mondial, estimé par l’OCDE à 6,6% pour l’année 2024. Le taux d’inflation argentin dépasse même celui du Venezuela. Une situation symbolique, ce dernier ayant été jusqu’en 2023 le plus touché par l’inflation en Amérique Latine.
« No hay plata »
Mettre fin à la crise économique, c’est pourtant le grand point du programme de Javier Milei. Dès son élection, un plan d’urgence économique a été entamé. L’objectif affiché est de créer une croissance économique de 5% d’ici 2025. Pour cela, le président libéralise les marchés et coupe les dépenses publiques, comme symbolisé avec sa tronçonneuse pendant la campagne électorale. Parmi les mesures déjà adoptées : la réduction de 50% de la valeur du peso (la monnaie locale), la fin du contrôle des prix par l’Etat ou encore la réduction du nombre de fonctionnaires et l’arrêt des subventions aux transports. Une phrase de Javier Milei illustre cette politique économique : "No hay plata". Comprenez : "nous n’avons plus d’argent".
En "taillant dans les dépenses" et en réduisant la valeur de l’argent, l’Etat entend "casser la création monétaire", en partie responsable de l’inflation. Selon Jean-Louis Martin, économiste, spécialiste de l’Amérique Latine, le pays a longtemps tenté de combler son déficit économique via la création de monnaie. Or, "si on créé de la monnaie, mais qu'on n'augmente pas la quantité de biens et services offerts en face, ceux-ci deviennent de plus en plus chers, et de plus en plus de monnaie est en circulation" explique le chercheur. Si à terme le but est de stopper ce phénomène, les retombées sont pour l’heure négatives. Le Fonds Monétaire International a annoncé que l’Argentine connaîtrait une récession en 2024. Un ralentissement économique justifié pour le FMI par "un important ajustement économique en cours" dans le pays.
6 Argentins sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté
Concrètement, la qualité de vie de la population pâtit de cette crise économique et des solutions mises en place pour l’atténuer. Près de 6 Argentins sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté selon l’Observatoire de la dette sociale de l’Université catholique d’Argentine. Un chiffre qui n’avait pas été aussi haut depuis la crise économique de 2001. Au quotidien, chaque dépense est calculée. Les habitants ont été forcés de changer leurs modes de consommation. "Les gens consomment beaucoup moins. Ils ne peuvent pas acheter la nourriture avec un tel taux d'inflation" indique l’économiste Célia Himelfarb. Alimentation, électricité, eau et services de santé sont les postes de dépense les plus touchés par l’inflation. "Chaque mois, les prix augmentent donc c’est très difficile d’équilibrer les salaires avec les prix comme ceux de la nourriture et des dépenses quotidiennes" témoigne Guido Estrada, citoyen argentin.
Le secteur du logement locatif connaît lui aussi une situation de crise et d’inflation accrue. Dans le cadre de la libéralisation des marchés, Javier Milei a permis aux propriétaires de logements de fixer à leur guise les prix de leurs locations. Ainsi les prix sont incertains et dans la majorité des cas, beaucoup plus élevés qu’auparavant. "Les loyers peuvent être doublés comme ça. Beaucoup d’amis sont dans cette situation et ils doivent revenir vivre chez leurs parents parce qu’ils ne peuvent pas payer leur loyer" raconte Guido Estrada. Cette tension du logement a aussi conduit beaucoup de personnes des milieux les plus pauvres vers les bidonvilles. "Il n’y a qu’à se balader à Buenos Aires. Je n’ai jamais vu autant de familles, matelas compris, dans les rues." regrette Maria-Laura Moreno-Sainz, sociologue et politiste à l’université catholique de Lyon.
La fracture sociale devient "une plaie béante"
L’inflation et les mesures mises en place par le gouvernement de Javier Milei ont particulièrement défavorisé les foyers les plus pauvres. "La fracture sociale existait déjà. Mais dans ce contexte, ça devient une plaie béante" illustre cyniquement Célia Himelfarb. Pour la chercheuse, le gouvernement réduit ses dépenses et ce sont "les plus pauvres qui en payent le prix. D’autre part, les riches ne sont, pour l’heure, pas taxés". Un constat que partage l’économiste Jean-Louis Martin : "Il y avait justement une sorte de matelas de transferts sociaux qui réduisait un peu les inégalités, en tout cas qui aidaient les plus pauvres à vivre un petit peu mieux. Et ça, il [Javier Milei] le remet en cause très clairement".
Les réactions de la population face à la situation économique imagent ce décalage de réalités entre les classes sociales. Pour les foyers les plus modestes, les revenus sont utilisés pour la nourriture et le logement. Ceux qui le peuvent épargnent des dollars, faute de confiance dans le cours du peso. Le chercheur de l’IFRI note : "une grande prudence dans la consommation de la classe moyenne, y compris celle qui n'est pas encore touchée par les mesures de stabilité de Milei". Une précaution révélatrice de l’instabilité ambiante dans le pays. Les plus aisés, quant à eux, peuvent encore s’offrir le "luxe" de dépenses liées aux loisirs. "Il y a un autre groupe de personnes qui ont des moyens, qui vont au Brésil, qui vont à Miami, qui peuvent venir en Europe… mais 57% de la population ne mange pas à sa faim" contextualise Célia Himelfarb.
Pour s’extirper momentanément de ce contexte de crise quotidienne, les options manquent. "Les échappatoires sont difficiles à trouver. Surtout dans un contexte de récession où les activités et les dépenses sont peu nombreuses" souligne Jean-Louis Martin. Reste peut-être le football dont les argentins seraient "de vrais fanatiques" selon Célia Himelfarb. Véritable "religion d’Etat", ce sport, qu’il soit pratiqué ou regardé, agirait comme une thérapie ou un "cache-misère".
Le football, bien plus qu’une passion populaire en Argentine
Romain Henry
C’est un affrontement attendu chaque année par des millions de personnes en Argentine et partout dans le monde. Ce match, c’est le derby de Buenos Aires entre River Plate et Boca Juniors appelé "Superclasico". Il suffit de se balader dans les rues de la capitale argentine un jour de match pour comprendre l’engouement des Argentins pour le ballon rond. Maillots rouges et blancs d’un côté, bleus et jaunes de l’autre, et voilà une ville polarisée (et surtout colorée) qui se divise le temps d’une rencontre de football : "Le Superclasico, c'est quelque chose de différent, c'est le seul match où je veux connaître la date en avance. Aujourd'hui, j'apprécie plus ce match qu'avant. Je sais que ce n'est pas une question de vie ou de mort. Avant, j'avais l'habitude de regarder les Superclasicos seul ou avec seulement des fans de River. Maintenant, je peux regarder les matchs avec mes amis qui soutiennent Boca Juniors" témoigne Ron Swanson, fervent supporter de River Plate.
Le match à voir une fois dans sa vie selon The Observer
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le média britannique The Observer a classé en 2004 le match entre River Plate et Boca Juniors comme "l’événement numéro 1 à voir une fois dans sa vie pour tout passionné de sport" , notamment pour son atmosphère incomparable. Historiquement, Boca Juniors rassemble la classe populaire de Buenos Aires tandis que River Plate représente la classe supérieure argentine. Une tendance qui tend à s’effacer au fil des années : "L’idée selon laquelle il y a des classes sociales élevées et basses dans les deux équipes est une idée préconçue qui sert à alimenter l'idiosyncrasie de chaque club et la façon dont ils perçoivent le football et la victoire. Les fans de River seraient plus exigeants sur les performances de l'équipe et ceux de Boca penseraient que seule la victoire compte, peu importe la manière" ajoute Ron Swanson. En Argentine, il existe de nombreux « derbys » à l’instar du Superclasico. Parmi ceux qui attirent le plus les foules, le Clásico de Avellaneda (entre le Racing et Independiente) ou encore le Clásico rosarino (entre Rosario Central et les Newell’s Old Boys).
Les clubs de sport aux mains des "socios"… mais pour combien de temps ?
Une passion qui n’impacte pas seulement le football. D’une manière générale, le sport est parfois considéré comme une religion dans un quotidien pas toujours facile à vivre. Inflation sans fin, crise des salaires, clivages politiques suite à la récente élection de Javier Milei ou encore conditions de vie dans les quartiers, les Argentins ont besoin de baume au cœur pour traverser cette période difficile : "Le sport ici en Argentine est extrêmement important, c'est une source de travail pour des milliers et des milliers de personnes, c'est une source de soutien pour les enfants qui vivent une enfance difficile et de fait, c'est aussi une échappatoire aux problèmes actuels du pays" explique Marcos Pennella, étudiant en première année en licence de journalisme sportif à Buenos Aires. Cette idée est confirmée par Maria Laura Moreno-Sainz. Cette politiste, sociologue et enseignante-chercheuse à Lyon Catholic University : "Le football est peut-être une façon d’échapper au quotidien et à la vie des quartiers. C’est très important pour eux en Argentine. Tout peut devenir un ballon de football, même les objets les plus banals. C’est un catalyseur d’une certaine violence ambiante qui se ressent dans les stades, y compris pendant le SuperClasico".
Marcos Pennella se décrit lui-même comme "aux antipodes" de Javier Milei, qui "n’est pas qualifié pour occuper son poste actuel" sur le plan politique. Il critique notamment la possibilité de privatisation des clubs et des entreprises en général, une mesure annoncée par le nouveau président argentin dans son programme. Sauf qu’historiquement, les clubs de football sont détenus par des socios, c’est-à-dire des milliers de supporters qui détiennent des parts du club, là-aussi pour montrer leur fort engagement dans le football. Après de houleux débats, une large majorité des clubs argentins a affirmé que les clubs étaient, sont, et seront la propriété des "socios", qui contribuent mois après mois à la fois socialement et économiquement au bon fonctionnement des clubs.
Après la Coupe du monde 2022, 5 millions d’Argentins dans les rues
Difficile évidemment d’évoquer le sport et le football en Argentine sans faire référence à la Coupe du monde de 2022, remportée par l’Albiceleste (surnom de l’équipe d’Argentine) face à l’équipe de France en finale. Une victoire qui a marqué tout un peuple, réuni comme un seul homme dans les rues argentines pour célébrer cette victoire et son héros Lionel Messi, illustre descendant de Diego Maradona. "Quand l’Argentine a remporté la Coupe du monde en 2022, près de 5 millions de personnes sont descendues dans les rues pour fêter cet événement. Cela n’est jamais arrivé de voir autant de gens avec le sourire qui se réunissent pour la même chose. Tout cela grâce au rapport des Argentins au football. Ça dépasse parfois beaucoup de choses" illustre Célia Himelfarb, maître de conférences en économie internationale et professeure à l’IHEAL (Institut des hautes études de l'Amérique latine).
"Il s’agissait d’éliminer les Anglais"
Elle fait ici référence à la Coupe du monde 1986 qui s’est déroulée au Mexique. En quarts de finale, l’Albiceleste affronte l’Angleterre en pleine période de dictature : "C’était étrange car certaines personnes étaient heureuses pour la sélection pendant que d’autres étaient portées disparues et on ne les a jamais revues" précise Célia Himelfarb. Ce match contre l’Angleterre revêt de plus un parfum particulier sur le plan géopolitique. Quatre ans plus tôt, en 1982, l’Argentine attaque l’Angleterre pour reprendre le contrôle des îles Malouines. L’Angleterre sortira vainqueur de ce conflit pour ce qui est toujours un traumatisme en Argentine. Après son doublé (dont la célèbre Mano de Dios – la main de dieu en référence à son but de la main -, Diego Maradona avait déclaré devant la presse : "Pour nous, il n’était pas question de gagner un match, il s’agissait d’éliminer les Anglais. On voulait rendre honneur à la mémoire des morts". Score final : 2-1, et l’Argentine gagnera finalement la compétition pour inscrire sa deuxième étoile sur son maillot. Preuve ici que le cocktail sport – politique peut parfois s’avérer explosif.
Les écoles de journalisme sportif critiquées pour leur niveau
Cette passion pour le sport se fait ressentir dans les universités du pays. De plus en plus d’écoles de journalisme sportif ont ouvert leurs portes ces dernières années face à une demande toujours croissante d’étudiants passionnés. Matias Canillan enseigne des cours de journalisme sportif à l’université à La Paz. Il critique notamment le niveau des professionnels travaillant dans ce domaine aux connaissances souvent limitées : "Il y a beaucoup de footballeurs frustrés qui n’ont pas réussi en professionnel et qui se réorientent vers le journalisme sportif. C’est un domaine qui n’a plus évolué et ne s’est pas développé depuis longtemps". Marcos Pannella reconnaît de son côté la difficulté de s’intégrer face à des consultants toujours plus nombreux et demandés par les chaînes de télévision et stations de radio : "Il y a ces "footballeurs frustrés" qui n'ont absolument rien étudié pour être à cette place et qui, juste grâce à leur nom de famille, occupent une position privilégiée pour beaucoup d'entre nous qui étudions pour en arriver là".
"Il faut travailler dur pour pouvoir se différencier des autres"
Des arguments qui ne convainquent pas franchement Martina Birri, directrice de l’ISEC (l’institut sud-américain pour l’enseignement de la communication). Dans son établissement, 60 % des cours sont destinés à la pratique du journalisme, contre 40 % pour des enseignements théoriques. Visiblement, la récente élection de Javier Milei n’a pas eu d’impact sur les écoles de journalisme et la manière d’y enseigner. Télévision, radio ou encore presse écrite, l’école ratisse large pour former ses étudiants du mieux possible. "Il y a beaucoup d'étudiants en journalisme sportif, et donc beaucoup de futurs journalistes. Avec autant de monde, il est difficile de se démarquer. Celui qui obtient un diplôme de journaliste sportif doit travailler dur pour pouvoir se différencier des autres, mais en fin de compte, tout le monde peut exercer son métier" rappelle Martina Birri. Des formations qui attirent chaque année de plus en plus d’étudiants souhaitant faire du journalisme sportif leur métier à long terme. Mais face à la rude concurrence, trouver sa place peut parfois s’avérer être un véritable parcours du combattant…
Webographie, bibliographie, ours
Sources : Reporters sans frontières, Télam, AFP, Le Grand Continent , Clarin, Pagina 12, La Nacion, Tribune, Les Echos, The conversation, France Culture, RFI, Courrier International, The Economist, Banque Mondiale, OCDE, IFJ, Sipreba, So Foot, Lucarne Opposée
Remerciements : Maria-Laura Moreno-Sainz, Gabriela Albernaz, Pablo Betesh, Maria-Laura Avignolo, Silvia Naishtat, Célia Himelfarb, Jean-Louis Martin, Marcos Pennella, Martina Birri, Matias Canillan, Cynthia Ottaviano, Francisco Alcazer, Irene Hartmann, Jorge Paihlé, Paula Cejas
Sous la direction de M. Continsouza. Rédacteur en chef : Aurélian Marre. Rédacteurs : Chloé Bach Chaouch, Aurélien Dufour, Romain Henry, Eulalie Merel, Flavie Veillas.