L’Allemagne, un paysage médiatique libre et polyphonique

Classée 13ème au Classement mondial de la liberté de la presse en 2021 , l'Allemagne reste un pays où les journalistes exercent librement leur profession. Un bien meilleur rang que celui de la France qui occupe la 34ème place. De solides garanties constitutionnelles et un système judiciaire indépendant  contribuent à un environnement favorable aux journalistes allemands. La liberté d’expression, un des piliers de la constitution allemande, voit le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’histoire ainsi que la configuration du territoire sont deux facteurs qui assurent la pluralité des médias et ont permis à l’Allemagne d’être de nos jours un modèle concernant la  liberté de la presse.

Les médias et l'Histoire allemande

Paul Charoy

Pour comprendre le paysage médiatique allemand actuel, il faut tout d’abord évoquer son histoire. Commençons en 1871 quand la coalition d’Etats allemands dirigée par la Prusse remporte la guerre franco-allemande de 1870-1871. Le roi de Prusse est alors proclamé Empereur de l’Empire allemand. La Prusse organise l’unité de l’Allemagne autour de sa région au détriment des autres. Sous la République de Weimar, le député nationaliste Alfred Hugenberg construit peu à peu un empire médiatique. En 1931, le Trust Hugenberg comprend plus de 1600 journaux, une agence de presse, une agence de publicité, une maison d’édition et la société de production d’actualités filmées UFA. Pour installer le nazisme au pouvoir en Allemagne, Hitler s’allie justement avec Hugenberg.  Les médias étant tous liés aux intérêts économiques, militaires et politiques du pays, Hitler en prend un contrôle total. Il abolit la liberté de la presse en 1933 et seuls les médias soutenant le régime restent en fonction. Lorsque Josef Goebbels devient ministre de la Propagande, il a sous son contrôle l’entièreté de la presse allemande qui va devenir l’un des principaux instruments de la dictature.

Après la dictature nazie, les changements commencent 

Après la Seconde Guerre mondiale, les Allemands veulent empêcher qu’un média puisse servir à nouveau d’outil de propagande. Le « tabou Hugenberg » se développe. Cette loi – qui n’est pas écrite - interdit à n’importe quel capital industriel d’investir dans les médias. En 1949, lorsque la RFA se constitue, les enseignements tirés de la dictature nazie sont ensuite appliqués. Cela concerne le « tabou Hugenberg », mais aussi la liberté constitutionnelle des médias. Pour pouvoir garder le contrôle du paysage médiatique en démocratie et qu’ils puissent exercer pleinement leurs rôles, les médias doivent être indépendants du pouvoir politique (et plus précisément exécutif), mais aussi du pouvoir économique. L’objectif est d’éviter tout conflit d’intérêt. La presse doit jouer un rôle à part entière dans la démocratie. La base de ce nouveau départ est la suivante : si les journalistes critiquent, désapprouvent ou révèlent quelque chose, ils en ont le droit, car ils agissent justement dans “l’intérêt public”. Isabelle Bourgeois, chercheuse au CIRAC (Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine) voit cela comme un devoir pour le journaliste allemand : “Le journaliste allemand a un devoir d’informer ses citoyens et pour pouvoir exercer ce devoir, il doit être libre [...] aucune pression ne peut être exercée sur lui”.

La situation en Allemagne de l’Ouest 

En 1950, dans la RFA, la presse allemande d’après-guerre n’a pas à rougir face aux presses des autres pays. Pourquoi cela ? Les grands patrons de presse des années 50 voient cette légitimation de l’indépendance des médias comme un moyen d’exercer pleinement leur rôle de critique et contrôle vis-à-vis de l’Etat. Cette volonté d’indépendance est à l’origine de la réputation de la presse allemande d’être le « quatrième pouvoir » dans l’Etat. Il y a en 1954, 225 journaux autonomes composés de rédactions plus ou moins complètes. Les Allemands, qui sont déjà de gros lecteurs, répondent présent. A la fin des années 60, 85% de la population adulte lit régulièrement les journaux (80% le font encore aujourd’hui). À côté de la presse quotidienne existe une presse hebdomadaire, composée de news magazines,  qui apporte des éléments  de réflexion et d’approfondissement des faits.

La situation en Allemagne de l’Est

Qu’en est-il dans l’Allemagne de l’Est ? Comme dans la plupart des pays communistes, les médias sont placés sous la tutelle de l’Etat. Ils sont soumis au contrôle du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne) dans la section « agitation et propagande ». Une agence de presse officielle en RDA bénéficie d’un monopole d’Etat : la Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst. Une télévision d’Etat, Deutscher Fernsehfunk, diffuse de l’information des émissions pour la jeunesse tandis que la presse est représentée par leNueus Deustchland, organe officiel du SED ou encore le Junge Welt, organe officiel de la Jeunesse libre allemande. Au-delà de ces deux principaux titres, on compte 38 journaux quotidiens dont 17 qui sont édités par le SED. Le parti unique possède aussi 14 journaux de districts composés davantage de pages locales pour l’ensemble du pays. Dans l’entièreté des médias se mêlent propagande, endoctrinement ou encore concurrence avec les médias de l’Allemagne de l’Ouest. La jeunesse est la cible particulière de cet endoctrinement, à l’image de nombreux régimes autoritaires. On tente également de brouiller les ondes des télévisions ou radios de l’Ouest.

La réunification des deux Allemagne, et après ?

Avec la réunification, les journaux de la RDA sont absorbés par l’ensemble des éditeurs ouest-allemands.  Les zones de diffusion ne changent pas et les conditions de l’économie de marché en RFA sont appliquées. Étrangement, les journaux entièrement produits par le SED survivent à cette réunification et n’ont perdu qu’un faible pourcentage de lecteurs, en revanche, les nouveaux journaux qui s’étaient créés en ex-RDA ont tous disparu des kiosques. Malgré cette arrivée de nouveaux journaux, le nombre total de titres de presse autonomes est descendu à 135.

La réunification est compliquée dans le domaine précis de la presse, car il s’est retrouvé très morcelé. A l’inverse, les radiodiffuseurs publics et privés se rapprochent  rapidement entre l’Est et l’Ouest parce qu’ils gardent une autonomie au sein de l’ARD (groupement public des radiodiffuseurs régionaux). Pour les quotidiens, l’organisme chargé de l’économie est-allemande (la Treuhandanstalt) installe une concentration très rapide : le poids des maisons d’éditions et des journaux dans une même région – qui était déjà appliqué en RFA - est venue s’appliquer dans les Länder de l’ex RDA. C’est ce « processus de concentration » que nous connaissons aujourd’hui dans la presse allemande qui s’est fortement intensifié depuis les années 90. Cependant, la concentration des médias ne veut pas dire que le paysage médiatique est centralisé, au contraire. Nous avons vu que l’Histoire de l’Allemagne est en corrélation directe avec les changements que le système médiatique a vécu. Si aujourd’hui, l’Allemagne reste le marché médiatique le plus dynamique d’Europe, c’est, en partie, parce que le pays a mis en place un fonctionnement médiatique différent, mais efficace.

La pluralité des médias en Allemagne

Lydia Maachi

Avec 313 journaux quotidiens en Allemagne contre 80 en France, l’Allemagne possède l'un des paysages les plus variés d’Europe. Grâce à ce nombre important, le pays se classe 7ème en termes de diversité et pluralité de médias, tous offrant des points de vue très différents sur l’actualité allemande. Et pour cause, le concept de presse « nationale » à l’instar du Monde ou du Parisien, n’existe pas dans le paysage médiatique allemand. Chaque Land (soit région du pays) possède sa propre presse : une ville peut avoir son propre journal et les Allemands sont si attachés à l’information de proximité qu’il existe même des blogs pour partager les informations du quartier - à la manière d’un quotidien. Cette implantation principalement régionale s’explique par un attachement profond à la presse locale : plus de 90,9% des Allemands ont un abonnement à un journal comparé à 50,4% en France. Dans son ouvrage La presse en France et en Allemagne. Comparaison de deux systèmes, Valérie Robert observe que l’on dénombre un nombre de points de vente relativement important sur le sol allemand (chiffre) face à (chiffre) en France, s’expliquant par deux phénomènes culturels. D’une part, Valérie Robert évoque cette culture de la lecture : les journaux demeurent une source importante d’information pour la plupart des Allemands (72,4% de la population âgée de 14 ans et plus lisent un journal par jour), et d’une autre part, les Allemands sont attachés au fait de recevoir leur journal par portage, une pratique qui a pratiquement disparue en France.

La pluralité des médias : un choix politique

Cette pluralité des médias s’explique par des facteurs culturels, économiques, mais se trouve aussi être un choix politique. L’Allemagne garde un souvenir douloureux du monopole de la presse qui a sévi durant la république de Weimar : c’est Alfred Hugenberg, un des principaux partisans d’Hitler, qui contrôlait à l’époque 50% des journaux utilisés pour recueillir l’appui du public à l’égard d’Hitler et du parti. 

Lorsqu’en 1970, de nombreuses acquisitions et fusions de médias ont été faites dans la région de Ruhr par le Westdeutsche Allgemeine Zeitung (WAZ), un grand groupe médiatique, le gouvernement a tenté de trouver un moyen pour éviter ce phénomène de concentration du pouvoir médiatique aux mains d’un seul groupe.

Une loi sur le contrôle des fusions des agences de presse a alors été mise en place en 1976, qui avait pour objectif d’abaisser le seuil d’examen des fusions de société de presse, faisant baisser les acquisitions durant les années 80 et 90.

Dans cette multitude de titres locaux, seulement une dizaine de titres sont considérés comme des titres « nationaux », où leur tirage, bien que régional, s’étend dans de plus grandes zones que celle du Land d’édition. Le journal le plus lu est le Bildzeitung (surnommé le Bild) avec la plus grande diffusion d’Europe. Deux journaux dits nationaux sont édités à la capitale. Die Welt avec une ligne éditoriale à tendance conservatrice et le TAZ-Die Tageszeitung, plutôt à gauche et proche des écologistes. A Francfort est édité le Frankfurter Allgemeine Zeitung, un quotidien qui se veut plus conservateur. Plus à gauche, on trouve le Süddeutsche Zeitung édité depuis Munich. Enfin, on retrouve le Das Handelsblatt, un quotidien économique édité dans la ville de Dusseldorf. Comparé à la France, de l’autre côté du Rhin, on assiste à une décentralisation des médias grâce à leur zone d’édition et de diffusion, créant ainsi une indépendance médiatique région par région.

Ce découpage régional permet donc un plus grand nombre de productions. Les divers éditeurs offrent une grande variété de produits médiatiques : l’Axel Springer AG, par exemple, est l’un des plus gros éditeurs de journaux d’Allemagne. A lui seul, il touche plus de 35 millions de personnes chaque jour grâce à la publication de 150 de ses journaux, régionaux et nationaux. Gruner + Jahr est quant à lui le premier groupe de presse d’Europe, appartenant à Prisma Media (Bertelsmann) implanté dans plus de X pays. Cinq Ce découpage régional permet donc un plus grand nombre de productions. Les divers éditeurs offrent une grande variété de produits médiatiques : l’Axel Springer AG, par exemple, est l’un des plus gros éditeurs de journaux d’Allemagne. A lui seul, il touche plus de 35 millions de personnes chaque jour grâce à la publication de 150 de ses journaux, régionaux et nationaux. Gruner + Jahr est quant à lui le premier groupe de presse d’Europe, appartenant à Prisma Media (Bertelsmann) implanté dans plus de X pays. Cinq grands groupes de presse allemands se partagent aujourd’hui le marché des médias, entre diffusion de journaux, télévision, radio, et aujourd’hui le web.

Une loi sur le contrôle des fusions des agences de presse a alors été mise en place en 1976, qui avait pour objectif d’abaisser le seuil d’examen des fusions de société de presse, faisant baisser les acquisitions durant les années 80 et 90.

Comme exemple, en 2004, les autorités fédérales s’occupant du contrôle des fusions se sont opposées au rachat du Berliner Zeitung par le groupe Holtzbrinck, qui possédait déjà deux grands journaux berlinois (l’ancien journal du parti communiste ainsi que le Tagesspiegel). Les autorités ont demandé au groupe de vendre le Tagesspiegel, auquel cas grâce au Berliner Zeitung et au Tagesspiegel, il détiendrait une part de marché équivalente à 61,4% des journaux sur abonnement. Finalement, la vente a été refusée malgré les tentatives du groupe de vendre le Tagesspiegel. Cet exemple montre que l’Allemagne a pour volonté de protéger le pluralisme en ce qui concerne la propriété des journaux sur le territoire.

Liberté de la presse : le modèle gagnant de l'Allemagne

Mélie Lavaud

La liberté d’expression et celle de la presse sont fortement protégées en Allemagne. Fondements de la démocratie, elles sont ancrées dans l’article 5 de la Loi fondamentale : "Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser son opinion par la parole, l’écrit et l’image et de s’informer librement auprès des sources accessibles à tous. (. . .) La censure n’existe pas."

“un bien plus précieux, mieux défendu et protégé”
Ludovic Piedtenu, correspondant Radio France en Allemagne

Pour Ludovic Piedtenu, correspondant de Radio France en Allemagne, l’origine de ce fait est à chercher dans le contexte historique. J'ai pu constater que l'Allemagne a un rapport bien plus fort avec le concept de liberté. Chez nous il est écrit au fronton des écoles et des mairies, dans le triptyque républicain, mais l'expérience des dictatures en Allemagne (la dictature nazie et celle de la RDA), encore présente dans la mémoire collective, fait que les Allemands et leurs dirigeants politiques ont une conception et une approche de la liberté qui en font un bien plus précieux, mieux défendu et protégé”.

La presse a donc aussi un rôle important à jouer dans la démocratie, elle doit non seulement informer, mais aussi “contribuer activement à la formation de l'opinion politique, exercer une critique et un contrôle vis-à-vis des organismes de l'Etat” explique Michael Haller dans son ouvrage La presse en Allemagne. C'est pourquoi le Tribunal constitutionnel fédéral a plusieurs fois souligné que “la position privilégiée des membres de la presse est légitime en raison de leur mission”. Lorsque les journalistes critiquent, désapprouvent ou relèvent quelque chose, ils peuvent le faire parce qu'ils agissent “dans des affaires relevant de l'intérêt public”, il y a un réel droit à l’information en Allemagne. De cela découle aussi l’Auskunftsanspruch, qui est le droit des journalistes à obtenir les informations qu’ils réclament aux institutions, gratuitement.

En Allemagne, la presse jouit d’une longue réputation de sérieux et d’indépendance. Classée 13ème au classement Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse, l’Allemagne est avancée sur ces questions. Pour preuve, pendant la dernière décennie, plusieurs ministres ont dû démissionner face aux pressions exercées par la presse allemande. Annette Shavan, alors ministre de l’éducation est accusée en 2013 de plagiat pour sa thèse. Elle démissionnera suite aux nombreux articles lancés contre elle. Un an auparavant c’était le président de la république fédérale, Christian Wulff, qui a démissionné après avoir tenté d’intimider le journal Bild.

Mais ce n’est pas tout ce qui explique ce bon classement. Une raison économique permet également de comprendre les différences systémiques du fonctionnement de la presse. En Allemagne 90,9% des lecteurs sont des abonnés, contre 54,7% des lecteurs Français. Cette stabilité des revenus est pour un média le moyen le plus efficace de s’assurer de la vente des journaux et ainsi de conserver leur autonomie. Les journalistes allemands n’ont donc pas à chercher à pratiquer le sensationnalisme pour faire vendre au numéro. De plus, cela permet aux annonceurs, principales ressources des médias, de connaître à l’avance le profil des abonnés. Grâce à cela, les journaux allemands sont assurés de leurs revenus. Ce schéma économique impacte donc directement le travail journalistique, sans se soucier de vendre le journaliste allemand peut traiter plus en profondeur les sujets.

Pour Ludovic Piedtenu, correspondant en Allemagne “la vraie différence entre la France et l'Allemagne c'est le traitement médiatique sans frénésie, sans folie. Il n'y a pas ici par exemple de chaîne d'information en continu”. Il explique alors : "rappelez-vous des crises de tremblement de la chancelière Angela Merkel l'été 2019. Imaginez ce même événement en France. Les médias en auraient fait leur Une, en auraient parlé pendant des jours. Ils auraient cherché à publier des informations sur l'état de santé du Président, ils auraient mis en doute sa capacité à diriger le pays et multiplié les invités en plateau, les fameux "experts". Ce serait devenu une sorte d’affaire d'état. En Allemagne les médias s'en sont inquiétés, ont couvert l'événement mais pas du tout de façon frénétique. Ils ont très vite accepté l'explication officielle donnée par la chancellerie qui se voulait rassurante quant à l'état de santé d'Angela Merkel”.

La culture journalistique influe également directement sur la presse. En Allemagne la distinction entre faits et opinions est très claire. Brigit Osler expliquait dans une émission de France-Inter : “en Allemagne on essaie de séparer un peu plus opinion, commentaire, les articles sont censés être plus neutres. En France les articles sont plus subjectifs et les journalistes se voient plus comme des littéraires“. Ludovic Piedtenu, qui travaille depuis des années en Allemagne ajoute également : “le journalisme en Allemagne est moins émotionnel, il est plus factuel, parfois un peu froid quand on vient de France et qu'on écoute un journal radio ou TV”. Aussi en France, les médias sont regroupés en groupes de presse, le plus souvent dirigés par des industriels. Pour Olivier Guez, journaliste et écrivain, cela ne serait pas possible en Allemagne, car “à la tête de ces grands groupes il y a une tradition d’éditeurs”.

Une comparaison des titres français et allemands sur un même sujet montre cette différence de traitement de l’information.

Tagesschau (Chaine TV 1 ) : La mort du président du Tchad : un revers pour la stabilité du Sahel

Euronews allemand : Est-ce la fin de la super ligue ? Man City et Manchester veulent en sortir.

Focus-online : "dans mes groupes Whatsapps, c’est la peur ». Après l'élection de Laschet, c’est l'effervescence.

Relations entre politiques et médias, les Allemands restent cordiaux

Ailvin Tourtelier

Le 8 octobre 1962, le plus influent des hebdomadaires allemands “Der Spiegel », publie un article qui fait l’effet d’une bombe dans la vie politique allemande. A travers un reportage long de 16 pages, le journaliste Conrad Ahlers fait de nombreuses révélations sur la fragilité militaire de la République Fédérale d’Allemagne. La riposte du gouvernement ne tarde pas, et le journal est poursuivi en justice par le ministère fédéral de la Défense. Plusieurs responsables et rédacteurs, comme Rudolf Augstein, fondateur du journal, ou Conrad Ahlers, qui avait écrit l’article problématique, sont placés en garde à vue. La désormais nommée « Affaire du Spiegel » prend de l’ampleur et la population allemande vient prendre la défense des journalistes.

 A travers cette affaire, l’Allemagne montre qu’il est un pays où la protection du journalisme et de la liberté de la presse sont solidement ancrées dans la société. L’indépendance des médias face à la politique nationale leur fait garder une place de pilier de la démocratie. Depuis l’affaire du Spiegel, le tribunal constitutionnel a pu affiner sa jurisprudence, pour assurer la protection des journalistes dans leur travail. Des tentatives de pression arrivent cependant : En 2012, l’ex-président fédéral Christian Wulff fait face à une enquête : il lui est reproché d’avoir tenté d’intimider des journalistes du Bild, enquêtant sur lui après plusieurs faits de fraudes fiscales. Résultat, le peuple allemand demande sa démission, et le président quitte son poste après de nombreuses semaines de controverse.

Des relations protégées par la Loi Fondamentale

L’indépendance et le sérieux de la presse allemande, ainsi que sa protection juridique lui permettent de conserver des relations saines avec la classe politique allemande. En effet, la Loi Fondamentale de 1949, équivalent allemand de la Constitution, consacre son Article 5 à la liberté de la presse : “Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l’écrit et par l’image, et de s’informer sans entraves aux sources accessibles au public. La liberté de la presse et la liberté d’informer par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties. Il n’y a pas de censure.” 

Pour les personnalités politiques, comme pour l’ensemble des citoyens allemands, le droit à la vie privée s’applique. Cependant, la juridiction reconnaît le droit pour l’opinion de savoir comment les hommes politiques se comportent dans leur vie privée, si cela influe sur l’accomplissement de leur devoir. Les journalistes ne s’intéressent donc pas aux querelles ou aux coulisses de la vie politique, parfois vu comme des « tabous journalistiques ». Depuis le nazisme, le culte de la personnalité, la théâtralisation de la politique et des « personnages » ont disparu au profit des faits d’information. Encore aujourd’hui, les médias se tiennent à l’écart de la vie privée des politiques. Ils profitent ainsi d’une certaine symbiose, dans laquelle l’accès à l’information est la contrepartie d’une certaine pudeur.

Cette pudeur se reflète aussi sur les relations privées entre journalistes et politiciens. Si dans de nombreux pays comme en France, ces rapports sont médiatisés, ils restent discrets et peu nombreux en Allemagne. Thomas Wieder, ex-rédacteur en chef du service politique du Monde et désormais correspondant du journal à Berlin explique : « En Allemagne, il n’existe pas ce petit milieu de pouvoir parisien du 6ème et 7ème arrondissements. Les grands journaux sont à Francfort, Munich, Hambourg, alors que la capitale est à Berlin. À Paris les élites se retrouvent, les gens sont ensembles toute la journée. Je ne parlerais pas forcément de connivence, mais ça crée forcément une relation différente ». La structure régionale de la presse allemande permet ainsi aux journalistes de se tenir à l’écart de l’influence de la capitale politique.

L’influence des médias sur la vie politique en Allemagne contribue au bon fonctionnement de la démocratie. Après la Seconde Guerre mondiale, la presse a été l’un des facteurs de la formation de l’opinion publique grâce à sa neutralité et à sa pluralité. Mais si le journalisme allemand porte un désintérêt profond pour la vie privée de ses personnalités publiques et politiques, cela peut aussi les déshumaniser. En 2005, la campagne pour le poste de chancelier avait vivement été critiquée pour sa froideur. Les candidats se voyaient par exemple reprocher leur manque de chaleur, de cœur et de vision.

Allemagne : Les chemins de l'éducation à la citoyenneté

Lisa Lorenzelli

L’enfant ne naît pas « bon citoyen », c’est un processus d’apprentissage durant lequel l’école joue un rôle extrêmement important.  L’Allemagne  en a conscience et réserve à ses élèves une éducation à la citoyenneté  les  apprennent à exercer de manière compétente et autonome leurs droits démocratiques.

Réflexion personnelle, prise de parole, l’enseignement allemand laisse à ses élèves, le choix de pouvoir s’exprimer librement. Le principe est simple, laisser la parole aux étudiants et  éviter le “bachotage”. 

Système éducatif allemand

L’Allemagne en tant que République Fédérale fonctionne différemment dans la mise en place de l’enseignement au sein du pays.  L’école n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans et ce jusqu’à 16 ans.  Contrairement à la France, il n'y a pas qu’un seul  ministère de l’éducation, on en compte 16 au total, 1 par région.  L’Allemagne donne beaucoup de pouvoirs à ses différentes régions appelées Länder. Celles-ci sont responsables du contenu du programme scolaire au sein des différentes infrastructures scolaires. De plus, le système éducatif allemand a opté pour une répartition des vacances scolaires différente. Cela se traduit principalement par 188 jours par an de jours à l’école  en Allemagne contre 144 jours par an en France. Pour ne pas rendre leurs programmes trop lourds,  leurs emplois sont adaptés : “l’école finit plus tôt. La fin des cours s’effectue entre 12h et 15h pour leur laisser du temps libre pour d'autres activités (sports, culture…)” affirme Magali une enseignante de “ HaulptSchule” (lycée) .  La professeure  ajoute que “ ce système éducatif est beaucoup moins élitiste qu’en France, tout dépend de la capacité de l’élève et non pas de son statut”. Malgré un système éducatif qui semble moins rigide qu’en France, l’Allemagne se démarque grâce à lui. La plupart des personnes passent par un apprentissage avant de débuter leur métier, même un PDG d’une grande entreprise peut partir de cette formation. Tous les métiers et secteurs sont concernés, de la boulangerie à l’aéronautique en passant par le journalisme, le commerce ou le transport. En fonction des compétences acquises par les élèves, plusieurs établissements leurs sont proposés. Un moyen de  préparer les écoliers à leur future vie en tant que citoyenne et leur donner plus d’autonomie.

Le futur public des médias bien préparé 

En général, l’apprentissage jouit d’une meilleure réputation en Allemagne qu’en France, en préparant les apprentis à la vie en entreprise tout en transmettant des connaissances théoriques de fond à l'école professionnelle. Une fois l’apprentissage fini et le diplôme obtenu, les apprentis peuvent continuer à travailler en entreprise ou ont la possibilité de poursuivre des études supérieures à la « Fachhochschule ».

 « Chacun doit pouvoir s’exprimer, le but est d'intégrer le cours, donner de l’information, élaborer son propre avis et ne pas apprendre par cœur un cours machinalement”  affirme Isabelle Bourgeois, chercheuse au CIRAC ( Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine). Un avantage qui permettra au futur lecteurs des médias allemands d'acquérir un esprit critique développé. Les méthodes d’éducation sont principalement basées sur le savoir-vivre en société. La transmission des connaissances n’est donc pas la partie la plus importante de la scolarité allemande.

Des résultats peuvent être perçus: durant leurs études, plus de la moitié des étudiants allemands découvrent rapidement l'entreprise en effectuant un apprentissage, leur permettant d'être plus attractifs sur le marché du travail. « Les jeunes sont qualifiés, travaillent tôt et sont autonomes ; à côté, les jeunes Français manquent cruellement de compétences » dont les entreprises ont besoin”, considère Isabelle Bourgeois, qui y voit l'une des raisons du chômage élevé des jeunes dans l'Hexagone. En plus de cette compétence, les étudiants allemand  décident quand ils veulent passer leurs examens. “On peut considérer cela comme la raison pour laquelle le taux d’échec aux examens n’est pas aussi élevé qu’en France. Cependant, la durée moyenne des études est allongée”.

Parmi les adultes allemands (25 ans ou plus), 96,1% d’entre eux ont été scolarisés dans le cycle secondaire. Seuls 0,009% des enfants en âge d’aller à l’école (classe primaire) sont déscolarisés. En France, où le niveau d’éducation est élevé, ce sont 0.06% de ces enfants qui ne vont pas en classe. L’Allemagne est l’un des pays les plus développés sur le plan de l’éducation, considéré comme un système respectueux du rythme de l’enfant. Cependant le pays semble avoir quelques difficultés pour réduire les inégalités scolaires. “A niveau égal, un enfant issu de classe aisée aura 4 à 5 fois plus de chances d’être orienté vers le lycée qu’un camarade issu d’une famille ouvrière” affirme Werner Zettelmeier, chargé de recherches sur l’Allemagne contemporaine à l’Université Cergy-Pontoise. Malgré cet aspect négatif, le pays est considéré comme un modèle en matière d’éducation qui favorise la réflexion des élèves.

Par son mode de fonctionnement, le système éducatif allemand offre la possibilité à ses élèves de suivre la voie qu’ils souhaitent et les mettent très vite dans des conditions réelles. Le futur public des médias est donc bien préparé, de même pour les futurs journalistes.

Pour mieux comprendre les différences entre les systèmes éducatifs allemand et français, nous vous proposons une petite vidéo d’une minute qui peut vous éclairer sur la question.

La formation des journalistes en Allemagne

Aliénor Ruel

La Fédération des journalistes allemands ( DJV) estime à 59 000 le nombre de journalistes à plein temps en Allemagne. Sur ces journalistes, que le DJV recense comme ayant un contrat de travail à durée indéterminée, 14 000 travaillent dans un quotidien, 9000 dans un magazine, 10 500 à la radio et télévision, 7000 dans des services de presse et 2000 en agences ou bureaux de presse. L’Office fédéral de la statistique à Wiesbaden ( à reformuler ). La conception de la formation des journalistes en Allemagne est assez différente de celle de la France. La profession de journaliste est ouverte à tous en Allemagne et n’est liée à aucune obligation de formation. Pourtant en général, un diplôme universitaire est considéré comme nécessaire. En Allemagne, il y a plusieurs possibilités d’accès aux professions du journalisme: obtenir un diplôme dans une école spécialisée en journalisme, suivre des études spécialisées complétées par un stage ou bien encore passer par le volontariat dans les journaux ou émissions de radio télévision. En Allemagne, il y a la même proportion de journalistes qu’en France.

En France, on rentrait comme coursier dans un journal puis à partir du XXe siècle les apprentis journalistes bénéficiaient de formations professionnelles puis de formations universitaires. 

A partir des années 1980, il y a une convergence des deux. En Allemagne cette fusion entre formations professionnelles et formations universitaires ne s’est pas faite. 

La répartition des écoles sur le territoire allemand ne tient pas compte de la renommée des écoles. Comme indiqué précédemment, il n’y a pas de centralisation du pouvoir en Allemagne mais bien une équité parmi les Länders. Les écoles de journalisme sont donc toutes aussi réputées à Berlin que dans les autres grandes villes. 

Le Double Master franco-allemand de journalisme transnational (Sorbonne Nouvelle/ Université de Mayence / Université Franco-allemande), un diplôme interculturel 

Ce double master franco-allemand est proposé conjointement par la Sorbonne Nouvelle et la Johannes Gutenberg-Universität de Mayence. Cette formation est habilitée par l'Université franco-allemande. Les diplômés seront titulaires d'un diplôme français, d'un diplôme allemand et d'un diplôme de l'université franco-allemande. Il s'agit d'une formation au métier de journaliste à la fois pratique, théorique et adossée à la recherche. Ce master combine cours pratiques et stages et cours théoriques et universitaires. 

Valérie Robert, la responsable de ce master considère que ses étudiants  « sont formés pour avoir un point de vue transnational et une approche interculturelle. Certains d’entre eux sont devenus correspondants en Allemagne et travaillent pour Arte ou Deutsche Welle.”

Cursus universitaire et “Volontariat” 

En France, le cursus journalistique est pratiquement universitaire et comme dans tout cursus universitaire, il y a des stages pour apprendre le travail manuel, pratique. En Allemagne c’est très différent. Le métier de journaliste s’apprend majoritairement par apprentissage. La voie royale pour devenir journaliste en Allemagne c’est le “Volontariat” (une formation pratique de deux ans dans un journal ou un magazine), ce qui signifie que l’étudiant est apprenti dans une rédaction et est formé dans un système dual : l’étudiant passe la majorité de son temps dans une rédaction et a en parallèle des acquis théoriques. Il faut pour cela poser soi même sa candidature auprès des rédactions bien qu’il y ait une forte concurrence. Souvent, les “volontaires” travaillent d’abord comme pigistes dans un journal. Pendant leur formation,  les “volontaires” travaillent dans chacune des rubriques du journal où ils apprennent toutes les ficelles de leur métier. 

Une différence notable au sein des cursus universitaires français et allemands est le fait que les étudiants allemands bénéficient plus de cours  des sciences de la communication et de cours de sociologie. 

La formation des journalistes en Allemagne est donc assez différente de la France. Les étudiants en journalisme sont plus libres du choix de leur cursus pour accéder à la profession. 

La formation des journalistes en Allemagne est donc assez différente de la France. Les étudiants en journalisme sont plus libres du choix de leur cursus pour accéder à la profession.